Handicap.fr : En quoi l'article 1 sur la suppression de la barrière d'âge à 75 ans pour accéder à la PCH (Prestation de compensation du handicap) proposé par le député Berta et voté par l'Assemblée nationale (articles et lien ci-dessous) le 18 mai 2018 ne va, au final, pas changer grand-chose ?
Odile Maurin, présidente de Handi-Social : La loi de 2005 avait prévu que la PCH soit demandée entre 20 et 60 ans puis entre 0 et 60 ans (en 2008), puis sans barrière d'âge (jamais réalisé). En 2006, elle offre la possibilité d'une régularisation ultérieure, c'est-à-dire qu'une personne dont le handicap répond aux critères d'éligibilité et d'octroi de la PCH avant 60 ans peut, si elle n'a pas fait valoir ses droits avant, la demander jusqu'à l'âge de 75 ans.
H.fr : Vous avez en tête une situation concrète ?
OM : Oui, par exemple une personne en couple dont le conjoint assure l'aide au quotidien, sans n'avoir jamais demandé aucune aide financière ni aucune reconnaissance en tant qu'aidant. Le conjoint se retrouve en difficulté et la personne aidée peut alors faire valoir ses droits sous réserve d'avoir conservé les traces lui permettant de justifier qu'elle répondait bien aux critères d'éligibilité avant 60 ans. Donc quand le député Berta ou ceux qui le soutiennent disent qu'il y a plusieurs milliers de personnes qui vont être concernées par cette réforme, j'aimerais savoir sur quels chiffres il se base et d'où il les sort. Parler de 8 000, comme indiqué dans l'exposé des motifs de la loi, me parait totalement abusif car il ne faudrait pas confondre le nombre de personnes de plus de 60 ans qui ont demandé la PCH sans connaître les conditions et celles qui sont éligibles.
H.fr : Ce serait donc une mesure « anecdotique » puisque les personnes ont déjà eu 15 ans de plus pour déclarer leur handicap. Vous dites qu'à 75 ans la plupart a certainement déjà fait cette démarche…
OM : Oui, en effet. Elle ne va concerner qu'une minorité de personnes. Et monsieur Berta, avec sa communication très ambiguë, laisse croire qu'on pourra demander à la PCH à n'importe quel âge, ce qui n'est absolument pas le cas !
H.fr : La revendication majeure des associations serait plutôt de faire sauter la barrière d'âge de 60 ans ? Expliquez-nous le principe…
OM : En 2010, elle devait s'ouvrir au-delà de 60 ans et jusqu'à la fin de la vie pour bénéficier à toutes les personnes qui auraient un handicap de manière tardive.
H.fr : Le problème, c'est que cette mesure n'est jamais entrée en vigueur ?
OM : En effet. Les textes réglementaires ne sont jamais sortis. Il y a pourtant eu une tentative de la CFPSAA (Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes) qui a attaqué l'Etat sur cette question mais elle a été retoquée devant le Conseil d'Etat, ce qui est assez surprenant.
H.fr : Si on rentre dans les détails, la PCH peut néanmoins être obtenue si le handicap se déclare après 60 ans et que la personne est toujours en emploi...
OM : Oui, tout à fait. Elle peut la demander tant qu'elle a une activité professionnelle.
H.fr : Donc, de fait, avec l'évolution de l'âge de la retraite, cette barrière a été repoussée à 62 ans pour ce public.
OM : Oui, sous réserve d'être encore en activité à cet âge-là. Voire plus car certaines personnes travaillent bien plus longtemps même si cela reste rare.
H.fr : Mais pourquoi le gouvernement freine-t-il des quatre fers ?
OM : C'est en enjeu financier énorme pour les pouvoirs publics. Il faut en effet savoir que, dans le cas d'une personne très lourdement handicapée, elle peut, dans le cadre de la PCH, obtenir une aide H24. En théorie car dans les faits c'est de moins en moins vrai ! Alors si on compare avec une personne qui demande l'APA (Allocation personnalisée d'autonomie), qui concerne celles âgées de plus de 60 ans, il faut savoir que celles en GIR 1, c'est-à-dire les cas les plus lourds, n'obtient que 3-4 heures par jour d'aide à domicile. C'est d'ailleurs ce qui fait que beaucoup de personnes âgées dépendantes sont obligées d'aller dans des établissements spécialisés parce qu'elles et leur famille n'ont pas les moyens de faire face à un maintien à domicile. Malgré tout, si on prend en compte les coûts sanitaires pour les finances publiques de l'isolement des personnes et le risque d'hospitalisations répétées, sur le moyen et le long terme, cela plaide en faveur d'un investissement massif dans un accompagnement à domicile de qualité.
H.fr : Donc la PCH est nettement plus avantageuse que l'APA ?
OM : Oui, pour les handicaps les plus lourds, notamment en matière d'heures octroyées et d'aides techniques. De plus, le reste à charge avec l'APA est bien plus important.
H.fr : Donc lorsque Sophie Cluzel salue une « véritable avancée »…
OM : …elle se moque du monde ou ne maîtrise pas le sujet.
H.fr : Le deuxième point qui a été débattu par les députés, c'est l'article 2, également présenté comme un grand progrès, portant sur les Fonds de compensation (FDC). En quoi consistent ces fonds ?
OM : La loi de 2005 avait créé un système assez hypocrite ; la PCH était prévue à l'article L245-1 du Code de l'action sociale et des familles et le FDC à l'article L146-5 (article en lien ci-dessous). Chaque département devait ainsi mettre en place un Fonds départemental de compensation du handicap pour permettre à une personne handicapée de faire face aux frais restant à sa charge après l'intervention de la PCH, reste à charge qui ne devait pas excéder 10% de ses ressources nettes. Le plus simple aurait été de dire : « Vous avez une compensation du handicap et donc pas de reste à charge supérieur à 10 % de vos ressources ». Mais non ! J'y vois donc là un stratagème pour ne pas sortir les textes et ne pas avoir à assumer la compensation intégrale du handicap qui était pourtant la volonté du législateur de 2005.
H.fr : En effet, pour des raisons, on imagine, financières, les gouvernements successifs n'ont jamais voulu faire paraître ce décret qui aurait contraint l'Etat et les départements à mettre en place et alimenter ces fonds de compensation ?
OM : Tout à fait. Une décision a pourtant été rendue en 2016 par le Conseil d'Etat à la suite d'une demande de l'Anpihm qui donnait neuf mois au gouvernement pour publier ce décret, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour.
H.fr : Il ne l'a donc pas fait. Paye-t-il cette somme ?
OM : Il a payé jusqu'à pas très longtemps, et l'Anpihm a donc déposé une nouvelle requête pour demander au Conseil d'Etat de confirmer et mettre suffisamment la pression pour obliger à sortir le décret.
H.fr : Cet article 2 proposé par le député Berta constitue donc, selon vous, un recul puisqu'il propose de tenter une « expérimentation » de ces Fonds sur quelques départements seulement, et surtout « dans la limite des financements de ce Fonds ».
OM : En effet, on ne voit pas l'intérêt d'une telle expérimentation puisque, encore une fois, une loi existe et devrait s'appliquer sur tout le territoire. Il est vrai que, lorsqu'elle a été votée, il n'y a pas eu de mesure d'impact, c'est-à-dire qu'on n'avait pas estimé son budget global. Mais il aurait fallu, à l'époque, que quelqu'un la conteste. Le gouvernement s'est réfugié derrière cet argument pour ne jamais sortir le décret mais le Conseil d'Etat a bien considéré que, quelles que soient les excuses avancées, il devait être publié. Point à la ligne ! Surtout, comment assurer que le reste à charge ne soit que de 10 % des ressources si l'octroi se fait dans la limite des financements de ce fonds, financements notoirement insuffisants ?
H.fr : A-t-on une estimation de l'enveloppe financière globale si ces fonds, qui existent d'ailleurs dans certains départements (sans pour autant respecter strictement la loi), devaient vraiment être mis en place à l'échelle nationale ?
OM : Non, je ne sais pas.
H.fr : Ce sont certainement des sommes énormes ?
OM : Mais le décret peut tout à fait préciser et limiter les matériels financés. Mais, surtout, on pourrait changer le modèle économique de la compensation du handicap en mettant en places des services dédiés au matériel de compensation, acheté en gros, mis à disposition et adapté, avec maintenance et qui puisse resservir à d'autres après. A l'instar du système suédois ou de Motability en Angleterre. Prenons l'exemple, dans notre système, d'un fauteuil roulant à 30 000 euros dont le propriétaire décède un mois après l'acquisition et qui est jeté ou mis au rebus et ne sert à personne d'autre. Nous n'avons pas besoin d'être propriétaire de notre matériel !
H.fr : Vous dites que ce décret peut limiter les prises en charge ? Tout le monde ne va donc pas pouvoir réclamer un exosquelette à 80 000 euros ?
OM : Evidemment. Mais il faut aussi voir les choses sous un autre angle. Si on prend l'exemple de l'achat d'un véhicule adapté comme le mien (Ndlr : Odile Maurin est en fauteuil roulant électrique) qui, certes, coûte très cher, il peut aussi permettre de diminuer les aides humaines à partir du moment où je suis davantage autonome dans mes déplacements. Et puis, surtout, je suis en train d'essayer de retravailler, ce que je n'aurais jamais pu envisager avant. Il y a bien d'autres exemples comme le mien…
H.fr : Il ne faut donc pas seulement faire un calcul en prenant en compte le coût de ces Fonds mais estimer le bénéfice à plus grande échelle ?
OM : Oui, bien sûr. Et, surtout, ce que je réclame depuis longtemps, c'est une étude sur le coût sanitaire du confinement à domicile des personnes handicapées et âgées. Imaginez le nombre de celles qui tombent en dépression, ne se nourrissent pas correctement, n'ont plus le courage de faire un certain nombre de choses car elles manquent d'aide à domicile… C'est une cascade infernale qui revient, au final, bien plus cher car cela finit souvent par des hospitalisations. Si on met tous ces élements dans la balance, je reste persuadée que, sur le plan économique, c'est une erreur fondamentale de ne pas compenser réellement le handicap.
H.fr : Contestant cet article 2, Handi-Social a donc cosigné une lettre ouverte rédigée par un collectif de 5 associations ?
OM : Oui. Et d'autres nous soutiennent.
H.fr : Il n'y a pas eu de réactions de la part des grandes associations nationales de personnes handicapées ?
OM : Si, un communiqué signé par APF France handicap, GIHP, UNAPEI, UNAFAM, CFPSAA, qui n'émet pas de critique, se contentant de dire que l'article 2 « temporise ». Elles ne semblent pas mesurer la gravité du problème. Pour l'heure et compte tenu de la décision du Conseil d'Etat de 2016, ces associations se rendent complices d'un recul de nos droits.
H.fr : Quelle solution préconisez-vous ?
OM : Tout simplement le retrait de l'article 2, car nous n'avons rien contre l'article 1 même s'il ne va pas changer la face du monde, et évidemment la publication du décret sur les Fonds de compensation départementaux.