Plus de six enfants en situation de handicap sur dix victimes de violences sexuelles ne sont pas crus ; c'est trois fois plus que pour les autres (22%). " Violence sexuelle faite aux enfants : on vous croit ! "., c'est le titre sans équivoque du rapport de la Ciivise (Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) rendu public le 17 novembre 2023. Parmi les 30 000 victimes qui ont témoigné, 1 534 présentaient un handicap dont 196 ont répondu à la version FALC (facile à lire et à comprendre). Ce rapport, ce sont trois ans de travaux, 700 pages de conclusions et 82 préconisations… Ses aveux sont sans appel : « Nous, la société, nous nous sommes trompés. Nous avons cru qu'il était préférable de faire comme si ça n'existait pas, comme si c'était impossible. ».
Au total, 160 000 enfants sont chaque année victimes de violences sexuelles en France, dont a minima 7 680 en situation de handicap, certainement davantage. « Le temps de cet échange, vingt à trente enfants auront été violés », a déclaré le juge Édouard Durand, co-président de la Ciivise, lors de son audition devant la Délégation aux droits des femmes du Sénat.
Les enfants handicapés en 1ère ligne
L'occurrence « handicap » apparait 369 fois dans ce rapport tandis qu'un chapitre entier (pages 241 à 253) est dédié aux spécificités des enfants en situation de handicap. Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes, membre de la Ciivise, s'est battue tout au long du processus pour faire entendre leur voix, ce qui « n'était pas une évidence au départ » (Lire : Docu Marie Rabatel : plein phare sur les violences sexuelles). Cette vingtaine de pages dresse un constat aussi inédit qu'édifiant pour ce public ! La ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard, a rappelé lors de la remise du rapport que les « enfants en situation de handicap sont 2,9 fois plus souvent victimes de violences sexuelles » (et 4,6 fois en cas de trouble cognitif).
Le déni des dénis
« Si les différents mouvements de libération de la parole des victimes ont permis de lutter contre le déni des violences sexuelles faites aux enfants, celles commises sur ceux en situation de handicap demeurent hors des radars des politiques publiques », dénonce le rapport. Cette absence de prise en compte est la conséquence directe de l'infantilisation de ce public et de la mise en doute de sa parole : difficultés à s'exprimer, à percevoir, à répondre ou encore à comprendre l'intention de l'autre, adolescents considérés comme des « petits enfants » en cas de dépendance physique… Par ailleurs, selon la ministre, « trop de psycho traumatismes sont mis sur le dos du handicap », ne permettant pas d'objectiver les faits, alors même que « l'impact des violences sexuelles est plus sévère pour les enfants en situation de handicap », explique le rapport. Une fois l'acte commis, l'accompagnement s'avère particulièrement défectueux avec une prise en charge inadaptée par les services sanitaires mais aussi par la justice puisque les plaintes sont le plus souvent classées sans suite.
En institutions et au domicile
C'est parfois le rapport au corps spécifique construit par la vie en institution qui contribue à rendre les enfants en situation de handicap particulièrement vulnérables. « Habitués à être déshabillés, lavés, manipulés, déplacés par plusieurs professionnels, ils ont d'autant plus de mal à distinguer les gestes légitimes des soignants de ceux relevant de la violence sexuelle », illustre la Ciivise. Mais si 36% des viols sur mineur en situation de handicap enregistrés par les services de sécurité ont eu lieu au sein d'un établissement (IME, ESAT, hôpitaux) dont 35% en IME, le domicile n'est pas épargné (27 %). Ces enfants ont également plus souvent le risque d'être la proie de plusieurs agresseurs, et les agressions durent globalement plus longtemps.
S'il aborde la situation des enfants handicapés victimes d'abus, ce rapport fait aussi un état des lieux de l'impact destructeur sur les enfants a priori non touchés par le handicap, à la fois physique et mental. Le handicap devient alors une « conséquence des violences subies dans l'enfance ». Dans un tiers des cas, l'invalidité est une résultante du viol, notamment en cas de handicap mental.
82 préconisations, « réalistes et réalisables »
Pour sortir de cet abysse, la Ciivise formule 82 préconisations, « réalistes et réalisables », avec une « mise en œuvre qui sera moins coûteuse que le coût du déni » (Lire : Impact des violences sexuelles : un "coût du déni" édifiant). Dans le cadre des établissements médico-sociaux, le rapport propose par exemple : d'organiser le contrôle de manière préventive et en tenant compte des signalements, de former les professionnels au respect de l'intimité corporelle et d'assurer l'organisation sur l'ensemble du territoire d'espaces d'écoute et d'échange accessibles à tous, citant en particulier le dispositif Handigynéco. Si aucune recommandation ne mentionne explicitement le handicap, « toutes ont été pensées en se calquant sur la spécificité des enfants en situation de handicap pour en faire des mesures applicables à tous, tient à rassurer Marie Rabatel. On peut avoir l'impression qu'ils ne sont pas pris en compte mais ils imprègnent en réalité toutes les situations. » « Après trois ans de travail, il y a une prise de conscience que lorsqu'on sait faire pour les plus fragiles, on sait faire pour tout le monde », ajoute-t-elle.
Des sujets non traités
Mais, pour cette militante insatiable, tous les sujets n'ont pas été traités. Il manque, par exemple, une mesure dans le cadre de l'amendement Creton qui permet de maintenir dans des établissements pour enfants de jeunes adultes en attente de places. « Tous cohabitent dans un même huis-clos, observe-t-elle. C'est une faille importante en termes de prévention ». Elle dénonce, par la suite, un « cercle infernal puisque certains de ces jeunes adultes longtemps infantilisés peuvent à leur tour devenir des proies idéales pour les prédateurs sexuels lorsqu'ils finissent, enfin, par être accueillis dans des foyers de vie ».
Quel avenir pour la Ciivise ?
Maintenant qu'elle a fait le job, quel avenir pour la Ciivise ? « Nous espérons qu'il ne s'agit pas d'un rapport final mais d'un rapport d'étape », insiste Édouard Durand. Initialement prévue pour deux ans puis prolongée d'un an, elle est en sursis. Le 19 octobre 2023, la tribune d'un collectif de professionnels et d'associations parue dans Le Monde titrait : « Supprimer la Ciivise, c'est renvoyer les victimes au silence et condamner les prochaines ». Tous appellent sans délai à la prolongation de sa mission. Un courrier a été envoyé en ce sens au président de la République… Ses signataires ont été entendus puisque la Commission est reconduite.