DERNIERE MINUTE DU 24 OCTOBRE 2023
Nouvelles dates de diffusion pour Cassée debout :
• 26/10 : France 3 Pays-de-Loire à 22h55
• 23/11 : France 3 Bretagne à 23h44
• 23/11 : diffusion + débat en Nouvelle-Calédonie lors d'une soirée consacrée à la lutte contre les violences sexuelles
ARTICLE INITIAL DU 27 MAI 2023
« J'ai parfois l'impression d'être morte. » Marie Rabatel est brisée, cassée. Mais toujours debout. Il le faut pour remporter la « guerre contre les violences sexuelles ». Comme elle, 90 % des femmes avec autisme en ont subi. Plus largement, celles en situation de handicap sont sept fois plus touchées que les « valides ». Nombreuses sont celles qui, comme Marie, « vivent l'horreur » dès le plus jeune âge. En France, 160 000 enfants sont victimes d'abus sexuels chaque année ; un risque multiplié par cinq en cas de déficience intellectuelle. Dans Cassée debout, réalisé par Franck Seuret et Yann Rineau (Cicada production), cette « survivante », présidente de l'Association francophone des femmes autistes (AFFA), incarne ces destins « broyés », porte la parole de ceux qui sont parfois réduits au silence, « pris pour des fous », et, surtout, apporte un souffle d'espoir. Un documentaire saisissant sur un sujet invisibilisé, diffusé le 1er juin 2023 à 23h45 sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes et disponible en replay sur France.tv dès le 27 mai et jusqu'au 2 juillet 2023.
Une différence prise pour cible
Enfant, Marie est un véritable « zébulon » et peine à rester assise. Hors des clous, dès le CE1, elle s'attire les foudres des autres élèves qui la traitent de « débile », la poussent dans les escaliers, lui jettent des yaourts au visage... « C'est là que j'ai compris que j'étais différente, et que des choses pas très sympas me sont arrivées », relate-t-elle à l'écran. Cette « chose » dont elle parle avec beaucoup de pudeur, c'est un viol, perpétré par un voisin de ses grands-parents alors qu'elle n'avait que douze ans. « J'étais là sans y être. Je n'habitais plus mon corps, ne ressentais rien », décrit-elle trente-cinq ans plus tard, toujours aussi « terrorisée ». De retour chez elle, impossible de mettre des mots sur ses maux. Alors elle dessine ce qui lui est arrivé. « On m'a prise pour une cinglée et m'a demandé de ne plus jamais recommencer. » Marie se tait, jusqu'à oublier...
Le sport pour évacuer la douleur
Sa mémoire lui revient, vingt-cinq ans plus tard, lorsqu'elle croise son violeur. Elle est terrorisée. Une terreur, selon elle, « multipliée par 10 000 en raison de l'autisme ». Elle fuit. Loin. Mais ses souvenirs la rattrapent. « J'entendais de nouveau sa voix dans ma tête, ressentais la douleur comme si j'y étais. » Pour la faire taire, elle ne voit qu'une solution : disparaître. Elle entame alors une « descente aux enfers ». Marie restera quatre ans dans une clinique pour soigner « un mal-être profond ». Un séjour épineux mais nécessaire, qui permet d'inverser la culpabilité. « J'ai pris conscience que j'étais une victime et que rien de tout ça n'était ma faute », dit-elle. Le début d'un long « processus de reconstruction ». C'est notamment grâce au sport qu'elle reprend vie. Plusieurs fois championne de France de lancer de disque, elle « ne se bat pas pour une médaille mais pour être au contact de personnes avec qui elle se sent elle-même ». « On ne me voyait plus comme une débile mais comme une sportive », confie-t-elle.
L'apprentissage d'une soumission à l'adulte ?
Aujourd'hui âgée de 48 ans, Marie, toujours accompagnée de sa peluche qui lui sert d'antistress, sensibilise partout où elle le peut (institutions spécialisées, clubs handisport, plannings familiaux, gendarmeries...) et oriente, en parallèle, des familles touchées. Malgré son expérience, elle se dit toujours aussi « écœurée » par le déni de certains établissements médico-sociaux. Le documentaire met notamment en exergue les plaintes de onze enfants handicapés pour viol dans un Institut médico-éducatif (IME)... classées sans suite pour « manque d'éléments probants ». « Ils ont pourtant décrit avec précision les faits et accusé les mêmes éducateurs ! », s'insurgent deux mamans. « Le problème, c'est que l'on finit par ne plus dire 'non' parce que, même quand on le dit, on ne nous écoute pas, révèle Marie. Quand on naît avec un handicap, on nous apprend quelque part à nous soumettre à l'adulte (parents, éducateurs...), nous enlevant notre pouvoir de décision. Et, même en tant qu'adultes, certains, pensant bien faire, décident à notre place. » « Elle rappelle une vérité que les gens n'ont pas envie de voir », estime Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie. Sans relâche, Marie exhorte les structures à s'emparer sérieusement du sujet, mettant par exemple en lumière un IME qui propose une séance « vie intime » par semaine à ses 85 résidents.
Bientôt une audition adaptée dans les commissariats ?
Membre permanente de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), Marie revendique cette autodétermination à chaque séance durant lesquelles elle incite à porter une attention particulière aux enfants en situation de handicap. « Message reçu », affirme la Ciivise, qui rendra ses conclusions fin 2023. En parallèle, Mme Rabatel planche, avec les forces de l'ordre, sur un protocole d'audition adaptée aux personnes handicapées victimes de violence.
Une jardinière qui sème des graines
Pour changer la donne, Isabelle Rome, ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, promet de « faire en sorte que ce film soit vu partout », estimant, en outre, que « France TV, même si c'est son devoir de service public, est courageux de diffuser des documentaires comme celui-ci » (Lire : Violences et handicap : 3 ministres pour briser l'omerta?). « Ce projet était effectivement difficile à porter, à promouvoir notamment auprès des diffuseurs, admet Franck Seuret. Mais Marie Rabatel, comme toujours, a emporté tout le monde. » « Elle n'a pas voulu la lumière ni les honneurs, c'est nous qui avions besoin d'elle pour aller chercher le public et les décideurs sur ce sujet difficile », tient-il à ajouter. « Je suis une jardinière qui sème des graines, en espérant que d'autres personnes les feront fleurir », conclut-t-elle.
* Auvergne-Rhône-Alpes