Septembre 2012. Antoine Jesel achève les Jeux paralympiques de Londres sur « un échec sportif ». Mais c'est à un tout autre challenge que le champion de para-aviron va être confronté. Attablé dans un pub londonien, il s'apprête enfin à revoir celui qui l'a rendu handicapé. Huit ans plus tôt, un chauffeur anglais lui grille la priorité et le renverse alors qu'il circule à moto. Antoine mettra plus de deux ans à remarcher, gardant des séquelles à vie. Le responsable de l'accident, lui, s'est envolé dans la nature… Jusqu'à cette rencontre, autour d'une pinte de bière. « Il m'a expliqué pourquoi il avait pris la fuite et m'a dit qu'il se sentait soulagé de me voir aujourd'hui debout », raconte Antoine Jesel. « Pour moi, c'était une façon de lui dire : 'Tu m'as renversé mais tu ne m'as pas arrêté' ». La confrontation entre une victime d'infractions et son auteur porte un nom : la justice restaurative.
Un film, Je verrai toujours vos visages, pour sensibiliser ?
A l'époque, en 2012, ce dispositif n'existe pas, ou du moins pas en France. Il faut attendre la loi Taubira du 15 août 2014 pour le voir légalisé. Quasiment dix ans après l'adoption de ce texte, « peu de personnes savent en réalité qu'il existe », constate Sophie Crabette, secrétaire générale adjointe de l'association des accidentés de la vie (FNATH). Or la « réparation n'est pas que financière, elle est psychologique aussi », insiste-t-elle. En mars 2023, la sortie du film Je verrai toujours vos visages (vidéo ci-contre), qui cartonne avec plus d'un million d'entrées, permettra-t-il de démocratiser plus largement ce principe ? Ce long-métrage signé Jeanne Herry retrace le parcours de Nassim, Issa, Thomas, Benjamin, Grégoire, Nawelle, Sabine et Chloé. Si tout les oppose, ils ont en commun un profond désir de réparer, les fautes pour les uns, une âme mutilée pour les autres. Car, de chaque côté des barreaux, une vie semble brisée. Leur histoire a été largement inspirée de l'Institut français de justice restaurative (IFJR), mandatée et financée par le ministère de la Justice, qui accompagne et évalue le développement d'expérimentations de justice restaurative, mises en œuvre par les professionnels de la justice, de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'aide aux victimes.
« Un échange avec celui qui a fauché ma jambe »
« Nous étions l'un des derniers pays d'Europe à ne pas l'avoir adopté », explique Alexandra Mariné, chargée de communication au sein de l'IFJR. « C'est une question de culture pénitentiaire. En France, on garde encore l'idée de séparer auteurs et victimes sans qu'ils soient réunis autour d'un dialogue », poursuit-elle. Pourtant, « on le sait trop bien, la justice classique ne répare pas les victimes mais est là uniquement pour condamner les coupables », renchérit de son côté Pauline Déroulède. La championne de para-tennis a perdu sa jambe gauche après avoir été percutée par un conducteur âgé de 92 ans. « Il était obligatoire pour moi d'avoir un échange avec celui qui avait fauché ma jambe », raconte-t-elle dans un post Linkedin. S'il lui est impossible d'accorder son « pardon », la jeune femme admet que cet échange « a été précieux dans le chemin de sa reconstruction », « remettant de l'humanité dans ce drame, contrairement aux rapports d'instruction qui en manquent cruellement ».
De nombreux bénéfices
Concrètement, le dispositif, qui peut être mis en place à l'occasion de toute procédure pénale, généralement après le procès, au cours de l'exécution de la peine, peut prendre deux formes. Soit une médiation restaurative indirecte, la plus fréquente car logistiquement plus facile à mettre en place : elle regroupe trois ou quatre acteurs (auteurs, victimes, animateurs). Soit une rencontre directe détenu/victime. Dans les deux cas, les sessions sont animées par des personnes spécialement formées. L'idée n'étant pas de refaire le procès mais de recréer un dialogue. « Entre 2019 et 2020, 38 mesures de justice restaurative ont été animées, 39 en 2021 et 60 en 2022 », précise Alexandra Mariné. Preuve de l'intérêt croissant pour ce dispositif, encore « inégalement développé sur le territoire » par manque de moyens humains, financiers, des formations « trop peu disponibles », des « protocoles lourds, parfois inadaptés » … Pourtant, les bénéfices sont nombreux.
Une adaptation au cas par cas
« Nous avons constaté une diminution de la peur de la reproduction du crime ou du délit chez les victimes et du sentiment de culpabilité et de honte qu'elles peuvent ressentir face à l'absence d'explication », rapporte Benjamin Sayous, président de l'IFJR. L'exemple de la personne qui a inspiré le rôle de Nawelle dans le film est en ce sens très parlant. La réalisatrice a choisi le témoignage d'une femme qui a perdu dix kilos après avoir bénéficié d'une mesure de justice restaurative, à l'image du poids qui s'est enlevé de ses épaules. « Chez les personnes auteures, c'est le sentiment de responsabilisation qui est le plus exprimé, avec aussi celui d'une certaine fierté d'avoir pu contribuer à la reconstruction des victimes », complète Benjamin Sayous. Des deux côtés, les bénéficiaires ont le sentiment de reprendre possession de leur vie. Mais, parfois, la confrontation auteur/victime ne suffit pas pour tourner la page et la déception peut être au bout de l'échange...
Du sur-mesure pour chacun
Parce que tout n'est pas linéaire, « notre méthodologie repose sur du sur-mesure pour chaque personne, en se focalisant sur ses attentes et ses capacités », indique Benjamin Sayous. Enfin, l'IFJR propose d'autres formes de dialogue et de communication, adaptées aux capacités d'expression de chacun, notamment en cas de barrière de langage ou de handicap (psychique ou sensoriel). Des visioconférences peuvent être proposées tandis que des traducteurs en langue des signes peuvent intervenir. Auteurs et victimes sont invités à contacter l'IFJR (sur son site), s'ils souhaitent s'engager dans cette démarche.