Près d'un Européen sur trois consacre en moyenne 13 heures par semaine à soutenir un proche en perte d'autonomie. Une implication considérable qui repose sur environ 100 millions d'épaules. Publiée en octobre 2025, l'étude Panorama des aidants en Europe, menée par OpinionWay pour Clariane, dresse un « état des lieux inédit » de l'aidance dans six pays européens : France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique et Pays-Bas. Objectif ? Identifier les caractéristiques de cette population d'aidants non professionnels, mesurer l'ampleur de leur engagement, afin de mieux cerner leur quotidien, leurs difficultés, leurs besoins et les émotions qui traversent leur parcours.
Menée auprès d'un échantillon de 13 488 personnes, cette enquête offre une photographie rare d'un phénomène de plus en plus central dans les sociétés européennes vieillissantes, véritable pilier social trop souvent méconnu.
Les Italiens et Espagnols, champions de l'aidance
Âgés en moyenne de 47,3 ans, les aidants européens sont autant de femmes que d'hommes. Ils vivent majoritairement en milieu urbain (55 %), 23 % en périurbain et 21 % en zone rurale. 71 % exercent une activité professionnelle, 61 % vivent en couple et 49 % ont au moins un enfant. Mais, derrière ce profil homogène, des disparités nationales se dessinent. L'Italie et l'Espagne affichent les taux d'aidance les plus élevés (respectivement 34 % et 35 % de la population), tandis que la France et l'Allemagne ferment la marche (24 % et 23 %). Aux Pays-Bas, le taux atteint 28 %, avec une organisation de l'aide souvent plus collective. Les Italiens consacrent en moyenne 15 heures par semaine à ce rôle, les Espagnols 16 heures, contre 9 en France.
Le poids de la famille… et des traditions
Dans 89 % des cas, les aidants soutiennent un membre de leur famille. En Espagne et en Italie, 68 % épaulent un parent ou grand-parent, reflet d'une culture familiale très forte. À l'inverse, aux Pays-Bas, cette part chute à 44 %, et près d'un quart des aidants accompagnent une personne extérieure à leur cercle familial (voisin, ami…). Le conjoint occupe une place importante dans les pays du Nord : il représente 20 % des personnes aidées aux Pays-Bas, contre seulement 7 % en Italie. En France, ce sont surtout les parents (44 %) qui sont aidés, suivis par les conjoints (12 %) et les grands-parents (17 %). Les enfants ne représentent que 3 % des personnes aidées.
Une aide fréquente, souvent quotidienne
L'aide apportée est loin d'être ponctuelle, atteignant près de deux heures par jour, en moyenne. Près de trois répondants sur dix (29 %) interviennent tous les jours, et près de huit sur dix plusieurs fois par semaine. Seuls un quart limitent leur engagement à une fois hebdomadaire. La fréquence est particulièrement soutenue dans les pays du sud de l'Europe : 84 % des aidants espagnols et 81 % des Italiens interviennent plusieurs fois par semaine. En France, les chiffres sont plus modérés mais restent élevés, avec 26 % d'aidants quotidiens et 45 % plusieurs fois par semaine. Cette régularité témoigne d'un investissement de long terme, souvent comparable à une deuxième activité à plein temps.
Un impact sur leur santé physique et psychique
Huit aidants sur dix assument seuls ce rôle et 68 % éprouvent d'ailleurs un sentiment de solitude face à cette responsabilité. Un engagement quotidien qui pèse lourdement sur leurs épaules et structure leur quotidien : 71 % déclarent ressentir, parfois ou souvent, une « charge ». 69 % estiment que cette situation pèse sur leur santé physique ou psychique, 59 % rencontrent des difficultés dans leur vie familiale et 57 % dans leurs relations sociales ou professionnelles. L'indice Mini-Zarit, qui mesure la charge émotionnelle, s'élève en moyenne à 3,1 sur 7, avec des niveaux plus élevés en Italie (3,5) et en Espagne (3,4).
Un autre regard sur son proche
La proximité quotidienne transforme parfois le lien lui-même : un aidant sur deux confie avoir le sentiment de ne plus reconnaître la personne qu'il accompagne. 12 % évoquent des conflits familiaux liés à une répartition jugée injuste ou déséquilibrée des tâches. À cette réalité s'ajoutent de fortes inquiétudes : 88 % redoutent l'avenir de leur proche et 70 % disent éprouver du découragement.
Entre devoir, plaisir et fierté d'aider
Si ce rôle est exigeant, il reste très largement assumé comme un choix personnel : 84 % des personnes interrogées estiment qu'aider est une « décision volontaire », et 63 % le voient comme un « devoir ». Près d'un sur deux affirme « aimer aider », un sentiment particulièrement présent en Allemagne (60 %). La « fierté » est également prégnante : 90 % des aidants éprouvent ce sentiment, avec des pics à 93 % en Italie et 95 % en Espagne. Cette implication renforce souvent les liens : 60 % estiment que leur relation avec la personne aidée s'est consolidée, contre 15 % qui constatent une dégradation.
Un soutien public jugé insuffisant et un avenir incertain
Aux yeux des aidants européens, l'accompagnement des pouvoirs publics demeure largement perfectible. 82 % souhaitent bénéficier d'un soutien accru dans leur rôle, une proportion qui grimpe à 91 % en Espagne. Moins d'un sur deux (46 %) estime que des mesures concrètes existent aujourd'hui pour faciliter leur quotidien – une perception légèrement plus favorable en France (50 %), en Allemagne (53 %) et en Belgique (49 %).
Manque de visibilité et d'informations
À ce déficit d'action s'ajoute un manque criant de visibilité : seuls 42 % des aidants se disent bien informés des dispositifs disponibles dans leur pays. Ce flou nourrit un sentiment d'abandon et alimente une vision pessimiste de l'avenir. Seuls 38 % anticipent une diminution du poids que représente l'aidance dans les années à venir. Ces inquiétudes s'étendent à leur propre parcours : 81 % redoutent de faire peser un jour une charge trop lourde sur leurs proches.
Avec une génération de seniors plus nombreuse, souvent sans enfants ou vivant seule, les besoins en accompagnement ne feront que croître. Le rôle des aidants, déjà crucial aujourd'hui, sera demain incontournable. Reste à savoir si l'Europe choisira de s'appuyer sur eux… ou de les soutenir.
© Yuganov Konstantin



