CNCPH : un guide pour "mieux parler du handicap"

"Mieux parler du handicap dans l'espace public", c'est l'ambition du nouveau guide du CNCPH. Dix questions à se poser, des mots à bannir, d'autres à privilégier : un outil pour rendre la parole publique plus juste, plus inclusive, plus respectueuse.

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Un journaliste tend la main avec un micro.

« On n'est pas sourds, on n'est pas autistes : on voit bien qu'elle passe mal, cette réforme », déclarait Jean-Pierre Farandou, ministre du Travail, le 14 octobre 2025 sur France 2 ("Pas autiste": quand la politique alimente la stigmatisation). « Je pense qu'il y a des limites à la schizophrénie politique », énonçait, trois ans plus tôt, Bruno Le Maire, alors ministre de l'Économie. Stop ! « Les mots comptent. Mal nommer les réalités du handicap, c'est risquer d'entretenir les fantasmes, les peurs et les clichés. C'est aussi brouiller la compréhension des politiques publiques et affaiblir leur légitimité », réagit le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). En octobre 2025, il publie un Guide pour mieux parler du handicap dans l'espace public. Objectif ? Sensibiliser tous les citoyens sur la nécessité d'adopter un vocabulaire respectueux afin de mieux représenter les personnes concernées.

Une responsabilité collective

« Parler correctement du handicap n'est pas une option, c'est une responsabilité collective : celle des médias, des responsables publics, des institutions, mais aussi de toute personne qui prend la parole dans l'espace public », insiste le CNCPH. Ce document de 14 pages ne cherche pas à donner des leçons, mais à faire évoluer les « réflexes ». En somme, il s'agit de parler du handicap sans maladresse, sans exagération ni condescendance, et de le traiter comme une réalité sociale, et non comme une exception.

Dix questions à se poser avant de parler du handicap

Le cœur du guide repose sur dix questions simples mais essentielles à se poser avant de rédiger un article, un communiqué de presse, un discours, une publication sur les réseaux sociaux ou encore de réaliser un film. La première est frontale : décrire ou caricaturer ? Le Conseil rappelle que certaines expressions, passées dans le langage courant, entretiennent des représentations dégradantes et banalisent la stigmatisation. Dire d'un débat qu'il est « de sourds » ou qualifier une personne « d'autiste à la critique » ne relève pas d'une image anodine mais d'un usage « imprécis, mal à propos et insultant ».

Nommer sans réduire

Autre interrogation : nommer ou enfermer ? Le handicap ne résume pas une identité. On parle d'une « personne en situation de handicap », et non d'un « handicapé ». Ce choix lexical rappelle que c'est l'environnement, plus que la personne elle-même, qui crée la situation de handicap.

Ni héros ni victime !

Ce référentiel invite également à éviter de tomber dans la compassion excessive ou l'admiration démesurée. Présenter une personne handicapée comme « courageuse malgré tout » peut entretenir des stéréotypes. Être en situation de handicap n'est ni un drame, ni un exploit. Ainsi, les personnes concernées ne sont ni « des 'victimes' à plaindre, ni des 'héros' à mettre sur un piédestal : ce sont avant tout des citoyennes et citoyens, avec des talents, des difficultés et des aspirations comme tout un chacun », explique-t-il.

Le handicap est créé par un environnement inaccessible

Autre question clé : parler du handicap ou d'un environnement inaccessible ? « Le handicap ne vient pas uniquement des limitations d'une personne. Il est créé par un environnement qui ne prend pas en compte ses besoins : un bâtiment sans rampe, une vidéo sans sous-titres, un site web impossible à naviguer », souligne l'instance consultative. « En mettant en lumière l'environnement, on peut aussi montrer les solutions possibles – aménagements, outils, dispositifs – qui permettent aux personnes handicapées de participer pleinement à la vie sociale, culturelle et professionnelle », poursuit-il.

Donner la parole aux premiers concernés

Cinquième question : qui pour parler du handicap ? Les médias et institutions doivent s'interroger sur les voix qu'ils choisissent de mettre en avant. Cette publication incite à « privilégier la prise de parole et l'expertise des personnes handicapées, sans les cantonner à une simple fonction de témoignage ». « Il est aussi possible, en fonction du sujet et si cela est approprié, de donner la parole à la famille, aux amis, au médecin, aux accompagnants professionnels, sans que cela dispense la parole d'un principal concerné », ajoute-t-il.

Par ailleurs, pour recevoir correctement une personne handicapée, « il est nécessaire d'organiser sa venue (accessibilité des locaux et accompagnement, notamment) et de mettre en place les outils d'accessibilité nécessaires à une bonne communication : sous-titrage, audiodescription, langue des signes française (LSF), etc. ».

Rendre visible, sans surexposer

En outre, faut-il visibiliser ou invisibiliser le handicap ? Autrement dit, faut-il en parler, le montrer, le nommer ? « Il ne s'agit ni de taire, ni d'exposer à outrance mais de rendre compte de la réalité sans réduire la personne à sa différence », recommande le conseil qui veille à une meilleure représentation des personnes handicapées et renforce leur participation à la co-construction des politiques publiques. « Cela est particulièrement sensible pour les personnes ayant un handicap invisible ou psychique. Il faut se demander si le handicap est signifiant dans le cadre de la prise de parole, de l'article ou de la présentation d'une personne en fonction du sujet traité », précise-t-il.

Considérer les personnes comme expertes

Septième point : témoin ou expert ? Ce livret digital insiste sur l'importance de donner la parole à des personnes handicapées sur d'autres sujets que le handicap. « Elles sont aussi compétentes pour animer un débat ou apporter leur expertise sur un sujet dont elles sont spécialistes », affirme-t-il, donnant l'exemple de Théo Curin qui présente le jeu télévisé Slam sur France 3 (Théo Curin : nouveau présentateur du jeu "Slam" sur France 3).

Parler de handicap toute l'année

Autre écueil pointé : le traitement ponctuel du handicap. Ne pas se souvenir de ce sujet uniquement le 3 décembre, Journée internationale dédiée, ou pendant les Jeux paralympiques, mais l'intégrer à la parole publique toute l'année. Le handicap n'est pas un « sujet spécial », c'est un sujet de société.

Privilégier l'information à l'émotion

Le neuvième point incite à la prudence : réalisme ou sensationnalisme ? L'émotion, lorsqu'elle domine, finit par effacer la réalité. Le guide encourage à traiter le handicap avec rigueur, à privilégier la pédagogie plutôt que le pathos. « Sensibiliser au handicap sans faire de 'handi-washing' ou utiliser cette thématique comme un marronnier journalistique ou un titre accrocheur », détaille-t-il.

Réagir face aux dérapages

Enfin, la dernière question s'adresse directement aux professionnels de la parole publique : être arbitre ou complice ? En cas de propos stigmatisants, de blague lourde ou de cliché, il appartient aux journalistes ou aux animateurs d'une conférence de réagir afin de « conserver la neutralité ». Corriger, contextualiser, recadrer : des gestes simples mais essentiels pour instaurer une parole inclusive.

Les termes à connaître pour parler du handicap

Le document consacre aussi plusieurs pages au vocabulaire à connaître : personne en situation de handicap, personne polyhandicapée, accessibilité, conception universelle, communication alternative et améliorée (CAA), facile à lire et à comprendre (FALC)... Ces termes traduisent une approche fondée sur les droits, et non sur la déficience. A contrario, d'autres sont à proscrire : infirme, invalide, sourd-muet, mais aussi les usages métaphoriques du handicap dans le débat public, tels que « nain politique » (Nain politique, autiste: lorsque le handicap est une insulte). Le handicap n'est pas une figure de style, martèle-t-il.

Prendre conscience du pouvoir des mots

Le guide du CNCPH appelle à passer de la théorie à l'action : relire ses communiqués, ses campagnes, ses discours à la lumière de ces principes, et s'interroger sur chaque terme avant diffusion. Pas de formules toutes faites ni de « bons sentiments », mais une vigilance quotidienne, dans tous les espaces de parole. Car les mots choisis, notamment par les institutions, « façonnent la perception du réel » et influencent la manière dont la société conçoit l'inclusion. Les mots ont le pouvoir d'inclure ou exclure, de fermer ou d'ouvrir des portes. Ainsi, bien parler du handicap, c'est poser la première pierre d'une société réellement inclusive.

© Pixelshot / Canva

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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