« Vous voulez rire de la maladie ? Ressentir à quel point il y a de la vie ? C'est par ici ! » Burn-out à 28 ans, cancer à 32, parcours FIV à 35, infertilité à 36, dépression... Pas franchement de quoi faire un sketch, sauf si on s'appelle Caroline Le Flour. À contre-courant des discours dramatiques ou solennels, elle a choisi le rire. Dans son spectacle La chauve souriT, l'humoriste parle du « crabe » comme d'un épisode de vie – intense, bouleversant, mais jamais écrasant. Le ton est cash, l'humour mordant, le fond profondément humain. Un « one-woman-chauve » décapant qui vise à dédramatiser sans minimiser, libérer la parole et montrer que l'on peut survivre, même à ce qui semble insurmontable. Mieux encore : qu'on peut le raconter avec panache. Portrait de cette « résiliente multirécidiviste » à l'occasion d'Octobre rose, mois de sensibilisation au dépistage du cancer du sein.
Briser les tabous grâce au rire
Fatigue chronique, douleurs résiduelles… Ses séquelles ne se voient pas, mais elles sont bien là. Et Caroline n'a pas l'intention de les taire : « Grâce à toutes les épreuves de vie et à ma manière de réagir à tout cela, je suis devenue ce que je suis vraiment : une femme engagée, accomplie, en situation de handicap invisible. » La jeune femme de 39 ans parle haut et fort pour tous ceux à qui l'on dit « mais t'as l'air en forme ! ». Elle le fait avec une autodérision décapante et une empathie désarmante, qui séduisent et inspirent le public. « Certaines personnes viennent me dire après le spectacle : 'Je suis en dépression, en PMA, en situation de handicap invisible… Merci, je pense que je vais arrêter d'avoir honte et en parler.' » Pour Caroline, libérer la parole n'est pas un objectif : c'est une nécessité.
De l'armée à la scène, il n'y a qu'une vanne ?
Avant de devenir humoriste, Caroline a eu mille vies. Engagée dans l'armée à 19 ans, chef de projet marketing à 27, elle s'effondre sous le poids du burn-out. Quelques années plus tard, nouveau couperet : lymphome. « L'annonce a été un choc, une immense peur, mais aussi un soulagement : je savais enfin ce que j'avais », raconte-t-elle. C'est pendant la chimio qu'elle commence à écrire. Pour elle d'abord. Pour laisser une trace ensuite. « J'écrivais tout ce qui me faisait rire pour déposer mes pensées, mes douleurs. Je me suis dit que si je ne passais pas le cap, ma sœur pourrait partager ces carnets à ma place. »
Une rencontre, un déclic, une ovation
Et c'est une rencontre qui fait tout basculer. « Tu devrais en faire un spectacle », lance son ancienne prof de théâtre amateur, Valérie Roumanoff, à la lecture de ses écrits. Le déclic est immédiat. Peu après, Caroline est invitée au Congrès international du cancer de Toulouse. Elle se lance devant 500 personnes. « Je me suis dit : je ne suis pas morte du cancer, alors monter sur scène ne va pas me tuer. » Pari gagné. Standing ovation. « J'ai compris que ce spectacle allait au-delà de moi. Il devenait un support de soutien, d'espoir, de sensibilisation », se félicite la jeune femme.
Le rire comme arme de résilience massive
Pour Caroline, rire n'a jamais été un masque. C'est une nature. Une arme. Un réflexe de survie. « J'ai été élevée dans une famille où le rire est omniprésent, encore plus dans les moments difficiles. Pendant les épreuves, il m'a permis de traverser des situations très compliquées avec plus de légèreté. » Une philosophie qu'elle applique à la lettre. « Le rire, c'est une parenthèse, une manière de prendre de la distance face aux événements, sans tomber dans le déni », poursuit cette optimiste invétérée. « Le positivisme, ce n'est pas nier la réalité, c'est choisir où poser son attention », affirme-t-elle par ailleurs. « J'ai toujours cherché, même dans l'échec, ce que je pouvais en apprendre. Le positif attire le positif ! »
Au-delà du soulagement individuel, le rire devient un formidable vecteur de transmission. « Il permet de faire passer des messages de fond sous une forme très ludique. » Le handicap, l'infertilité... « Ces épreuves ne sont pas contagieuses, mais le rire, lui, l'est ! », lâche-t-elle dans un sourire. Rire du pire pour mieux le dompter, c'est sa façon à elle de mettre un pied de nez à la fatalité. Et d'autoriser les autres à en faire autant.
Un humour sans filtre, une parole sans fard
Sur scène, Caroline n'épargne rien ni personne. Les amis qui lancent « oh non, pas toi, t'étais trop sympa ! », les speed datings sans cheveux, les réflexions absurdes dans les couloirs d'hôpital : tout est matière à rire, et surtout à réfléchir. « J'ai un style assez incisif et désinvolte, qui permet d'aller droit au but, de dire tout haut ce que parfois on pense tout bas. » Sans jamais forcer. « Je propose le rire mais je ne le prône pas. Chacun est libre », explique l'humoriste. « Une femme est venue me dire après le spectacle : 'La première fois, je n'étais pas encore prête. La deuxième, j'ai tellement ri.' »
Des livres et des ateliers sur la résilience
Aujourd'hui, Caroline Le Flour est aussi psychopraticienne diplômée, autrice et fondatrice du mouvement « Résiliencez-vous ! », à travers lequel elle propose conférences, ateliers et accompagnements autour du rire et de la résilience. « Ce qu'on ne peut pas changer, on peut choisir comment l'appréhender. C'est notre zone de pouvoir », estime-t-elle. Ses livres prolongent cette démarche : Le Complexe du Trampoline, où elle explore l'art de rebondir, et la BD La Chauve SouriT, adaptation du spectacle, distribuée dans des hôpitaux et associations. Son ambition : faire du rire un outil de sensibilisation et d'entraide.
« Résiliente un jour, résiliente toujours ! »
Un deuxième spectacle en gestation, un projet musical dans les tuyaux, une tournée qui ne désemplit pas… Caroline ne s'arrête jamais. « J'ai plein d'autres projets en cours… Pourquoi pas une suite sur les galères de ma vie ? », lance-t-elle. À « presque 40 ans », elle déborde d'énergie. De festivals en hôpitaux, d'entreprises en associations, elle multiplie les rencontres pour partager un message simple mais essentiel : la résilience n'est pas une posture, c'est un art de vivre. Pas de grandes leçons à donner, juste l'envie de transmettre et de bouger les lignes.
« Mon objectif, c'est de cultiver l'espoir et la liberté de penser autrement », confie-t-elle. Sur scène, dans ses livres ou face à ses patients, Caroline Le Flour continue de tisser du lien, de donner du sens et de faire entendre les voix invisibles. Parce qu'un rire peut aussi être un cri. Et, parfois, un remède.
© Henry Magerès



