Par Estelle Emonet
Dans la salle d'attente de la dentiste, Niel, autiste, fait les cent pas. Si ce grand gaillard de 16 ans aux gestes désordonnés accepte désormais d'être soigné, il le doit à sa rencontre avec le Dr Aude Monnier, membre d'un réseau formé à la délicate prise en charge de personnes handicapées. Allongé sur le fauteuil, la tête en arrière, l'adolescent ouvre calmement la bouche pour laisser passer la fraise sur ses dents blanches légèrement entartrées, une main sur le manche de l'appareil, l'autre dans celle de sa mère.
Rhapsodif : un réseau de 60 dentistes
Pour en arriver là, il a fallu du temps et toute la psychologie d'Aude Monnier, membre du réseau Rhapsodif (site en lien ci-dessous), une association créée en 2008 qui rassemble une soixantaine de chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France spécialisés dans la prise en charge de patients handicapés. Le réseau, qui bénéficie d'un financement de l'Agence régionale de santé (ARS), est pourtant mal connu. C'est donc souvent avec un « grand soulagement » que les familles, comme les parents de Niel, le découvrent. « Il y a d'énormes difficultés à trouver un médecin qui accepte de soigner ces patients », souffrant de troubles du comportement et de difficultés de communication notamment car c'est « très compliqué pour les professionnels en termes de gestion du temps », confirme Thierry Nouvel, directeur général de l'Unapei qui regroupe les associations de personnes avec un handicap mental et leurs familles.
Recours à l'anesthésie générale
La mère d'Aaron, enfant de 11 ans atteint aussi d'autisme, en témoigne : « Mon fils avait beaucoup de caries, souffrait, mais je ne savais pas où aller alors j'ai laissé traîner la situation. Puis j'ai pris rendez-vous chez un dentiste mais, à mon grand désespoir, il a refusé de le soigner car il avait peur ». Il était « hors de question » pour elle d'arriver à la « solution extrême » de l'anesthésie générale pour soigner une simple carie, comme le lui a suggéré l'établissement où séjourne son fils. « C'est malheureusement encore souvent le cas, même pour un détartrage. Ca va plus vite, on s'embête moins en les emmenant en groupe à l'hôpital...», raconte, dépitée, le Dr Monnier qui consacre deux demi-journées par semaine à ces patients qui nécessitent une approche individualisée. « Il faut comprendre le fonctionnement de chacun d'entre eux et ne pas avoir d'a priori. Je peux obtenir beaucoup d'eux y compris de ceux très réticents lors du premier contact », souligne la jeune dentiste qui s'est formée elle-même à la prise en charge du handicap.
Refus d'ouvrir la bouche
La première consultation peut consister à faire toucher les ustensiles aux patients impressionnés pour progressivement leur faire ouvrir la bouche, puis passer une brosse à dents jusqu'aux instruments les plus grinçants. « Ce sont des éponges à émotion, il ne faut donc pas avoir peur », souligne la dentiste qui, pendant les soins, ne cesse d'encourager d'une voix posée ses patients. Fanny, la mère de Niel, se souvient des premiers rendez-vous : « Au début c'était très, très, difficile de l'allonger, alors il était soigné sur une chaise. On lui faisait respirer du gaz hilarant, mais maintenant il n'en a plus besoin », se réjouit-elle. A l'hôpital, son fils refusait catégoriquement d'ouvrir la bouche, se rappelle cette mère qui, depuis qu'elle a rencontré le Dr Monnier, prend rendez-vous tous les six mois pour des visites de contrôle.
Prévention primordiale
« La prévention est primordiale. Cela permet d'éviter des soins plus lourds pour ces patients habitués au grignotage », insiste la dentiste. Problèmes de digestion, infections d'autres organes, difficultés à mastiquer conduisant à alimentation moins diversifiée : un mauvais entretien des dents peut avoir de lourdes répercussions sur la santé, rappelle Thierry Nouvel. Une évaluation nationale menée en 2006 auprès d'enfants et adolescents polyhandicapés accueillis en institut a montré que 96% d'entre eux avaient un état de santé bucco-dentaire susceptible d'altérer leur santé. 44,3% n'avaient pas consulté de dentiste l'année précédant l'enquête. « L'accès au diagnostic est compliqué pour ces patients qui, pour certains, ne disent pas qu'ils ont mal. La surveillance est donc très importante », souligne M. Nouvel.
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