La déconjugalisation de l'AAH (Allocation adulte handicapé), c'est-à-dire l'arrêt de la prise en compte des revenus du conjoint pour son calcul, est une précieuse victoire, acquise de longue lutte, qui doit entrer en vigueur le 1er octobre 2023 (Lire : AAH déconjugalisée : une entrée en vigueur en octobre 2023). Sur 1,25 million d'allocataires AAH, 270 000 seraient en couple. Cette réforme va alors les impacter de trois manières différentes. Attention, les explications ci-dessous restent généralistes et ne permettent pas, pour le moment, d'affiner les calculs qui vont dépendre de la situation et des revenus de chacun.
Des gagnants, des perdants et d'autres pour qui rien ne change
• 1) Les gagnants. Selon la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), entre 160 000 et 190 000 personnes vont voir leur allocation augmenter de 300 à 350 euros par mois (c'est une moyenne et le gain pourrait être plus important pour certains). Le gagnant type de cette déconjugalisation est la personne handicapée n'ayant pas de ressources personnelles, ou très peu, et dont le conjoint gagne plus que le Smic pour un couple sans enfant. Avec cette réforme, elle va toucher son AAH à taux plein, quels que soient les revenus de son conjoint (pacsé, marié, concubin).
• 2) Ceux pour qui rien ne change. Pour la deuxième catégorie, environ 20 000 allocataires, rien ne va changer, par exemple les familles monoparentales (c'est à dire une personne seule avec ou sans enfant) et les couples dont les deux conjoints ont des revenus nuls ou faibles.
• 3) Les perdants. Enfin, d'autres « pourraient » voir leur allocation diminuer (en savoir plus sur ce profil dans le 3e paragraphe). Pour comprendre l'usage du conditionnel, il convient de lire la suite ; le tir a été rectifié mais seulement en partie...
Une double option qui exclut les nouveaux entrants
Lors des discussions au Parlement, le nombre de perdants avaient été estimé à 45 000 -on parle aujourd'hui plutôt de 57 000-. Selon le sénateur LR des Deux-Sèvres Philippe Mouiller, rapporteur de la proposition de loi pour la déconjugalisation, ces foyers perdraient en moyenne 270 euros par mois mais 21 % perdraient la totalité de leur allocation ! Afin de ne pas pénaliser ces ménages, le texte de loi a été modifié en leur permettant de bénéficier de l'option la plus favorable, c'est-à-dire rester « conjugalisé » (en prenant en compte les revenus du conjoint) ou pas, et ce « jusqu'à l'expiration de leur droit » y compris en cas de renouvellement -un décret en Conseil d'Etat doit encore fixer les modalités d'application de ce dispositif transitoire même si tout semble déjà fixé dans la loi et le décret de décembre 2022-. Ce ne sera pas un « choix » des allocataires puisque, lorsque cette loi s'appliquera, la CAF ou la MSA procéderont, après chaque déclaration de revenus trimestrielle, à ce double calcul et opteront automatiquement pour le montant le plus avantageux. Au cas où le mode de calcul « déconjugalisé » devient plus intéressant pour l'allocataire, il s'applique définitivement, sans pouvoir faire marche arrière -ce que dénoncent d'ailleurs des associations ainsi que le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) car la situation du foyer peut à nouveau changer (évolution des ressources, charge d'enfants...).
Mais, attention, et c'est là que le bât blesse, ce « privilège transitoire » ne vaut « QUE » pour les allocataires qui perçoivent déjà l'AAH à la date d'entrée en vigueur de la loi. Pour tous ceux qui l'obtiendront à partir du 1er octobre 2023, ce dispositif ne sera plus possible et ils seront ainsi automatiquement « déconjugalisés », avec les conséquences évoquées et le risque de voir leur allocation réduite...
Le profil des perdants
Ces perdants éventuels, qui sont-ils ? Ce sont principalement les ménages au sein desquels la personne en situation de handicap touche un revenu en plus de l'AAH alors que son conjoint a des revenus faibles ou pas de revenu du tout, inférieur à un Smic par exemple pour un couple sans enfant. Dans ce cas précis, le montant de l'allocation était jusqu'ici calculé en fonction du seuil de 19 979 euros par an de revenus pour un couple (plafond 2022) pour permettre de toucher l'aide à taux plein. Désormais, le montant sera calculé par rapport au seuil « individualisé » soit, pour une personne seule, 11 038 euros (plafond 2022). Sont également concernés les couples qui perçoivent tous les deux l'AAH et au sein duquel une des deux personnes travaille.
Un exemple ? Une personne handicapée nouvellement bénéficiaire de l'AAH ayant un revenu d'activité brut égal à 0,6 Smic et dont le conjoint a un revenu nul verra son allocation baisser de 288 euros (chiffres donnés par la Direction générale de la cohésion sociale en octobre 2022). Cette situation risque donc d'impacter les foyers les plus précaires.
Pourquoi pas 2 options ?
Alors, pourquoi ne pas accorder cette double option également aux nouveaux entrants ? Selon le gouvernement, « les associations ont été entendues et nous avons maintenu ce système à deux vitesses pour les allocataires déjà titulaires de l'AAH mais la loi ne permet pas d'avoir deux systèmes en parallèle de façon pérenne ». Selon lui, « le droit permet, pour une situation préexistante, de conserver la situation la plus favorable mais il y a inévitablement des cas particuliers qu'il n'est pas possible de prendre en compte ». La Fnath consent à son tour qu'il est « compliqué d'aller réclamer un retour à la conjugalisation pour ce public ». Pour cette association de défense des accidentés de la vie, « sans aller jusqu'à dire que le job est fait, le gouvernement a répondu à la réclamation que les associations ont fait à corps et à cri, et la question des perdants a été réglée puisque ceux qui sont déjà dans le dispositif peuvent choisir l'option la plus favorable ». Son conseil d'administration a jugé que l'on « ne pouvait pas réclamer tout et son contraire ». Cependant, la Fnath consent que « avec le recul, dans quelques temps », des « propositions d'amélioration sur certains types de publics », pourraient être faites. « On ne se l'interdit pas mais, pour le moment, il faut une phase d'observation », conclut-elle.
Le sujet est complexe, et difficile aujourd'hui pour un couple d'évaluer sa situation car aucun simulateur fiable tenant compte de tous ces paramètres n'existe. Il faudra donc attendre octobre 2023 et les calculs de la CAF et de la MSA pour obtenir des réponses concrètes.
Le cas des dossiers clôturés
Reste un problème, celui des dossiers qui, malgré une décision théorique d'attribution de l'AAH par la CDAPH (Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées), ont été « clôturés » administrativement par la CAF et la MSA parce que les ressources du conjoint étaient trop importantes et ne permettaient donc pas l'obtention de l'AAH. Avec la prochaine individualisation, la personne pourrait maintenant y avoir droit. Elle pourrait alors penser que la CAF ou la MSA vont ressortir automatiquement son dossier du tiroir (conservé trois ans dans la base informatique) or ce ne sera pas le cas. Pour ne pas laisser passer cette occasion, il lui faut faire une demande de réactualisation au plus vite. Enfin, les personnes qui n'avaient pas pris la peine de demander l'AAH compte tenu des ressources de leur conjoint peuvent désormais la réclamer utilement.