Par Mushtaq Mojaddidi
Anomalie dans une société ultra-conservative, où l'égalité des sexes est loin d'être acquise, l'artiste Robaba Mohammadi évoque à travers ses créations les sujets qui la passionnent. "Je peins surtout des tableaux au sujet des femmes afghanes, du pouvoir des femmes, de la beauté des femmes", explique-t-elle avant de se remettre à dessiner un arbre, pinceau entre les lèvres.
La discrimination est la norme
Après 5 ans de pratique, Robaba a créé environ 200 tableaux, la plupart vendus lors d'expositions à l'étranger. Sa peinture est réaliste, colorée, parfois presque psychédélique. Elle enseigne aussi son art à 50 élèves handicapés dans un centre qu'elle a ouvert il y a près d'un an dans un quartier pauvre de Kaboul et qu'elle finance avec l'argent provenant de ses ventes. D'après une étude datant de 2015, près de 1,5 million d'Afghans sur une population totale de 35 millions d'âmes souffrent d'une forme de handicap, dont des dizaines de milliers amputés par les explosions de mines. Mais la discrimination reste la norme pour ceux ne disposant pas d'un corps en parfait état de marche.
Privée d'école
Robaba est née à Ghazni, une province aujourd'hui presque entièrement contrôlée par les Talibans, avec un handicap physique permanent, qui fait qu'elle ne peut pas user ses membres. Elle souffre entre autres d'une arthrose dégénérative. Sa famille s'est déplacée à Kaboul pour qu'elle puisse être soignée. Mais la jeune femme n'a jamais pu aller à l'école "à cause de (son) handicap", regrette-t-elle, un foulard coloré couvrant partiellement ses cheveux et le visage soigneusement maquillé. Avec l'aide des siens, elle a toutefois appris à lire et écrire, puis à peindre, petit à petit, d'abord avec un pied, puis avec sa bouche. "C'était très difficile. J'ai souvent pleuré", se souvient-elle. La finesse de son art et la relative notoriété qu'elle en retire n'en sont que plus remarquables. "Nous sommes si fiers de Robaba. Elle est une source d'inspiration pour les autres personnes handicapées", sourit son frère Ali Mohammadi, 24 ans.
Fruit d'un péché
Car l'artiste a dû combattre une double discrimination : en plus de son handicap, elle est une femme, dans l'un des pires pays au monde pour ces dernières. Même dans les villes, plus progressistes, les personnes handicapées sont souvent cantonnées à leur maison. "Les défis sont doublés, ou multipliés, pour les femmes", dénonce Benafsha Yaqoobi, commissaire à la Commission afghane indépendante pour les droits de l'Homme, citant l'accès limité à l'emploi ainsi que le manque d'accès à l'éducation et aux lieux publics. "C'est à cause de la discrimination, des attitudes négatives envers les femmes, considérées comme 'un genre secondaire' et du fait que le handicap est vu non comme une source de diversité mais comme une honte." Si sa famille proche l'a soutenue, les parents éloignés ont réagi de la pire des manières, miroir d'une grande partie de la société afghane. Ils "me voyaient et chuchotaient entre eux que mes parents avaient commis une sorte de péché en ayant donné naissance à une fille handicapée", se souvient-elle. "Parfois je souhaitais ne jamais être née."
Mais la peinture lui a permis de transcender ses doutes. "Plusieurs fois j'ai abandonné, raconte-t-elle. Mais ensuite je me disais :'que puis-je faire d'autre que peindre ?'"