105 kilomètres, 3 étapes, 21h34 d'efforts, un millier d'émotions... A 29 ans, Alexandre Allain devient le premier greffé bi-pulmonaire à boucler le dantesque marathon des sables (MDS), au Maroc, en portant haut et fort les couleurs de l'association Grégory Lemarchal. Un exploit réalisé le 17 octobre 2024, date de la Journée mondiale du don d'organes. Tout un symbole... De retour en France, cet aventurier à l'optimisme inoxydable nous dévoile les coulisses de ce défi spectaculaire et son combat contre la mucoviscidose.
Handicap.fr : Qui êtes-vous ? Quelle est votre histoire ?
Alexandre Allain : Je suis originaire d'un petit village de la Sarthe, appelé Chantenay-Villedieu, et je vis avec une particularité : la mucoviscidose, une maladie génétique rare qui affecte les systèmes digestif, respiratoire et reproducteur. J'ai été greffé des deux poumons en juillet 2017, à l'âge de 20 ans, ce qui ne m'a pas empêché de vivre une vie comme tout le monde, grâce, notamment, à la philosophie et à l'éducation de mes parents. Ils ont refusé que je porte une double peine et m'ont toujours poussé à avoir foi en l'avenir et à voir grand.
H.fr : A quoi ressemblait votre vie avant la greffe ?
AA : Ma mucoviscidose était très présente. Ma capacité respiratoire était passée sous le seuil des 10 %, donc j'étais sous oxygène, en fauteuil roulant, alimenté par sonde la nuit. Je faisais sans arrêt des allers-retours à l'hôpital, en sachant qu'à la moindre petite infection, je pouvais « partir ». Le hic c'est que j'ai passé ma vie à prendre des antibiotiques donc, à la fin, ils n'avaient plus aucun effet sur moi. Malheureusement, il n'y a pas encore de traitement pour soigner totalement cette maladie, encore moins en 2017, la greffe était le dernier recours...
H.fr : Combien de temps êtes-vous resté sur liste d'attente ?
AA : Seulement trente jours. Ça peut paraître court ou long, tout dépend du point de vue, mais certaines personnes attendent beaucoup plus longtemps. C'est une période compliquée, il faut être joignable 24h/24, on sait que chaque appel peut faire basculer notre vie donc on est dans l'attente...
H.fr : En quoi la greffe a-t-elle véritablement changé votre vie ?
AA : Parfois les médecins disent que la greffe est un peu une « autre maladie », parce qu'il peut y avoir des complications. J'ai moi-même vécu sept épisodes de rejet la première année mais il a fini par céder. Ça fait maintenant six ans que mon état de santé est stable et que ma vie a, en effet, drastiquement changé. Je m'alimente normalement, j'ai 100 % de capacité respiratoire, je ne passe plus le plus clair de mon temps chez le kiné ou à l'hôpital.
H.fr : Vos médecins vous encouragent-ils ou vous déconseillent-ils de participer à ces aventures éprouvantes ?
AA : Il y a quelques années, ils mettaient des gros « warnings » car je sortais des sentiers battus, ils n'avaient pas l'habitude. Ils ont moins peur désormais. Et pour preuve, je les ai consultés une semaine avant le marathon des sables, ils ont signé mon certificat médical. Mais j'y suis allé « step by step »*, puis je fais régulièrement des examens médicaux pour m'assurer que tout va bien.
H.fr : Ça fait quoi de participer à l'une des courses les plus difficiles au monde ?
AA : Il y a évidemment une forme de fierté... Pour l'instant, je ne réalise pas encore. C'est surtout quand je regarde les photos, les vidéos, que je me rends compte de ce que j'ai accompli. Il y a sept ans, je n'étais pas capable de courir un kilomètre tout seul et aujourd'hui je fais 105 km en plein désert dans des conditions très difficiles (pluie, tempête, chaleur), sur un terrain totalement inhabituel, avec un sac de dix kilos sur le dos. Cette course a été la plus difficile de ma vie, je ne pensais pas souffrir autant mais le message n'en est que plus fort.
H.fr : Quel était votre objectif ?
AA : Sensibiliser au don d'organes mais aussi délivrer un message d'espoir, universel, pas seulement aux personnes atteintes de mucoviscidose. On rencontre tous des obstacles qui peuvent nous sembler insurmontables sur le coup mais rien n'est jamais perdu. Maintes fois j'ai pensé à baisser les bras mais je me suis accroché à l'espoir d'une vie meilleure.
H.fr : Qu'est-ce que cette expérience vous a apporté in fine ?
AA : Un gain de confiance en moi et beaucoup de soutien. J'ai notamment reçu des messages de parents qui me remerciaient de prouver à leur enfant atteint de mucoviscidose qu'ils pourraient vivre la vie qu'ils souhaitent. J'encourage d'ailleurs toutes ces familles à ne pas enfermer leur enfant dans une « bulle », laissez-les faire leurs propres expériences.
H.fr : Qu'est-ce que l'on ressent à l'arrivée, avec 105 km dans les « pattes » ?
AA : A part le mal de jambes, un gros soulagement et une certaine fierté. J'ai eu une pensée émue pour toutes les personnes qui m'accompagnent, notamment mes proches qui me permettent d'avancer et ont traversé les périodes les plus sombres de ma vie avec moi. Ce défi, c'est aussi pour les remercier, ainsi que le corps médical. C'est aussi grâce à eux que je suis là aujourd'hui.
H.fr : Comment s'est déroulée la préparation ?
AA : C'était une préparation très intense, millimétrée, laissant peu de place au hasard car, dans le désert, le moindre petit grain de sable peut faire dérailler toute la machine... Mais j'ai une grande confiance en ce que je peux faire et j'étais bien accompagné. Durant un an, j'ai été suivi par un coach, à raison de 3-4 séances par semaine d'environ 2 heures, qui combinaient cardio, renforcement musculaire, étirements, prévention de blessures... J'ai aussi bénéficié des précieux conseils de Jean-Claude, l'un des doyens de la course, qui l'a déjà faite douze fois.
H.fr : Le MDS n'est pas le premier défi extrême auquel vous participez (marathon de Paris, Half ironman des Sables d'Olonne, Grand raid de l'ultra marin...). Que voulez-vous vous « prouver » en les réalisant ?
AA : J'ai envie de laisser une trace de mon passage ici. Tous les greffés ne sont pas capables de faire ça, c'est aussi ce qui me rend heureux en réalisant ces défis sportifs, c'est ma manière à moi de m'exprimer. Lorsque mon pronostic vital était engagé, ce sont les projets qui m'ont fait tenir. Cela pouvait paraître fou aux yeux des médecins et perçu comme de l'insouciance ou de l'inconscience mais, dans toute période compliquée, je me projetais loin et me répétais : « Accroche-toi, tu as des choses à accomplir ».
H.fr : Que voulez-vous prouver aux autres ?
AA : Je n'ai pas nécessairement envie de « prouver » quelque chose aux autres, et encore moins montrer que je suis « fort » ou « courageux ». Ce qui m'anime c'est d'inspirer et d'aider à ma petite échelle.
H.fr : Quelle place le sport occupe-t-il dans votre vie ?
AA : Je suis un fan de sport depuis ma naissance, j'ai fait dix ans de foot et de danse, jusqu'à ce que je ne puisse puis en pratiquer qu'à travers ma télé... Depuis ma greffe, ça occupe une place centrale dans ma vie, j'en ai besoin pour mon équilibre personnel. J'aime regarder et faire tout type de sport, cela me nourrit aussi bien sur le plan physique que mental.
H.fr : Pourquoi avoir choisi la course à pied, le marathon ?
AA : Parce que j'aime les efforts sur des épreuves de longue durée et le symbole du dépassement de soi qui accompagne cette discipline. Et puis, pour courir, il suffit d'avoir une paire de baskets, il n'y a pas de contraintes matérielles ou financières. Perso, j'ai commencé en 2021 et depuis, je ne peux plus m'arrêter !
H.fr : 2021, c'est aussi l'année où vous avez créé votre société de production audiovisuelle. J'imagine que c'était « sport » de cumuler le travail et les entraînements...
AA : Oui, très, surtout que j'animais des ateliers de sensibilisation dans les écoles et les entreprises, en parallèle. Mais j'ai réussi à trouver un équilibre, puis étant mon propre patron, c'était plus simple de gérer mon temps que pour des salariés.
H.fr : C'est quoi une « société inclusive » pour vous ?
AA : C'est une société au sein de laquelle on n'utilise plus le terme « inclusion », où il n'y a plus de barrières, où la différence n'est pas perçue comme un frein mais comme une opportunité. Tout le monde a ses particularités, que l'on soit en situation de handicap ou non, et l'on a tous quelque chose à apporter à l'autre, à la société.
* pas à pas
© Marathon des sables