« Je m'appelle Anne Ratier et je vais vous expliquer pourquoi j'ai décidé d'offrir la mort à mon fils Frédéric ». En 1984, alors qu'elle s'apprête à vivre l'un des plus beaux jours de sa vie et à accueillir son premier enfant, son accouchement tourne au cauchemar. Ses forces s'amenuisent, le cœur du bébé ne bat plus, privé d'oxygène. Les chirurgiens doivent pratiquer une césarienne en urgence. Dès la naissance, Frédéric lutte pour sa vie. Le verdict tombe : « Votre enfant devra rester allongé sur un lit et ne parlera pas ». Une « sentence » qu'Anne n'acceptera finalement jamais et qui la pousse, trois ans plus tard, à commettre l'irréparable. 32 ans après, elle dévoile son secret dans un livre, J'ai offert la mort à mon fils (paru le 13 février 2019, City éditions).
Chercher des solutions, en vain…
« Votre monde s'écroule lorsque le couperet tombe », confie Anne Ratier au micro de RTL. Frédéric ne peut ni marcher, ni se tenir droit, fait sans cesse des crises d'épilepsie et son cerveau est « en grande partie détruit », explique-t-elle dans une vidéo publiée par le media Konbini, qui divise la Toile. Il ne comprend pas d'où viennent « les bruits ni comment manger par exemple ». Cet état végétatif nécessite un accompagnement perpétuel. Pendant plusieurs années, Anne cherche désespérément des solutions pour « éveiller son fils à la vie ». « Trois années d'amour démesuré », de relation fusionnelle, écrit-elle dans son livre.
Déclarer forfait
A l'automne 1987, elle pense avoir tout essayé. « Il allait avoir trois ans, pesait 17 kilos et avait une force nerveuse importante », relate-t-elle auprès de Konbini. Les médecins estiment que sa place est dans un établissement spécialisé pour enfants lourdement handicapés. Anne imagine le pire : des traitements neuroleptiques à longueur de journée, à rester sans bouger, sans parler et à se mordre les lèvres… « C'était très difficile pour nous de nous dire que nous allions être obligés de le laisser à des étrangers. Ça, je ne pouvais pas le faire, ajoute-t-elle sur RTL. Il y a pire que mourir parfois, c'est de vivre dans un état végétatif en étant lourdement handicapé. » Sa décision est prise… Elle doit « déclarer forfait ». « J'ai écrasé, dans une soucoupe, tout le tube de neuroleptiques, j'ai mis un petit peu de lait et je lui ai fait prendre, petite cuillère par petite cuillère », décrit-elle, tête baissée, au journaliste de Konbini. Une décision terriblement difficile à prendre mais soutenue par son mari. Frédéric est d'abord plongé trois jours dans le coma. Une période extrêmement « contradictoire » pour ses parents, qui espèrent parfois qu'il se réveille, de peur de vivre loin de lui… Mais, le 2 novembre 1987, date de son troisième anniversaire, il décède.
Sans regret
Anne traverse une période difficile, elle ne supporte pas de vivre dans le silence et veut révéler son secret au grand jour mais ses proches la dissuadent, pour protéger ses deux autres enfants. Pour autant, elle ne regrette pas son geste. « Si c'était à refaire, je le referai. Plus le temps passe, plus je me dis que la vie doit avoir une dignité, on ne peut pas vivre à tout prix », exprime-t-elle. Une décision assumée, donc, car prise, selon elle, par « amour.» Pourtant, aux yeux de la loi, elle a commis un meurtre avec préméditation. « J'ai eu la conscience très aiguë de transgresser une loi mais je n'avais pas le temps que mon fils continue à souffrir », justifie-t-elle sur RTL. Pour ce type d'affaires, le délai de prescription serait de 30 ans. Elle n'aurait donc rien à craindre. Théoriquement ? Car des juristes, face à la polémique, s'interrogent et commencent à décortiquer les textes de loi.
Un débat brûlant
Crime ou preuve d'amour ? Ce débat brûlant libère la parole de nombreux internautes scandalisés et notamment de parents d'enfants handicapés. « J'ai tué mon enfant parce que lourdement handi, et je vais expliquer en détail comment j'ai fait », s'indigne par exemple Journalust sur Twitter, dénonçant une « vidéo faisant l'apologie du meurtre, totalement handiphobe ». De son côté, Adrien Taquet, secrétaire d'Etat en charge de la protection de l'enfance, a fait part de son indignation. « Consternant sur la forme, inadmissible sur le fond. Quand plus d'un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups d'un membre de sa famille, on ne banalise pas ces crimes. Rien ne justifie de tuer un enfant. » Anne comprend leur posture et accepte que son acte puisse choquer. Elle invite, cependant, les gens à se mettre à la place « non pas du législateur, du prêtre ou du médecin » mais de celui qui est « dans cet état ». « Est-ce que vous pourriez le supporter ? ». Pour elle, c'est tout vu. « Si, demain, j'ai un accident, et je me retrouve dans l'état de Frédéric, je ne veux pas qu'on me laisse vivre comme ça », assure-t-elle. Aujourd'hui, « non pas heureuse », elle se dit tout de même « soulagée, sereine » car elle sait que son enfant « ne souffre plus ».
Faire évoluer la loi
Son histoire relance le débat sur l'euthanasie. Depuis février 2016 et la loi Claeys-Leonetti, la France instaure un droit à la « sédation profonde et continue » en phase terminale mais n'autorise ni le « suicide assisté » ni l'euthanasie, contrairement à ses pays voisins, la Belgique et le Luxembourg. « J'ai l'espoir que cette loi change, que les mentalités évoluent. C'est juste mon expérience, je ne veux pas donner de leçons », conclut-elle sur RTL.