Par Daphne Rousseau
Un jour de mars 2020, Corinne B. appelait des ambulances pour les résidents du foyer pour personnes handicapées qu'elle dirige et qui avaient été contaminés au coronavirus. Le lendemain, ce fut pour elle. Son dernier souvenir : les urgences puis, une semaine après, le réveil en réanimation, un trou de 1,5 cm dans la gorge pour respirer. "Cette maladie, c'est une horreur, c'est la première chose que j'ai voulu dire, dès que je me suis réveillée, ma colère, l'envie de hurler", dit-elle.
Un trou dans la gorge
A son réveil en réanimation à l'hôpital Lariboisière de Paris, Corinne comprend pourtant immédiatement qu'elle a perdu sa voix et fait connaissance avec ce trou béant dans sa gorge, qu'elle gardera pendant des mois ou des années. Aujourd'hui, elle peut au moins se tenir assise, une petite victoire pour la quinquagénaire sortie de réanimation depuis 15 jours. "Avec cette maladie, mon rétablissement se fait un peu chaque jour", dit-elle en respirant à travers une canule, un petit tuyau qui permet à l'oxygène de rentrer directement par l'incision pratiquée au niveau du cou. Sa trachéotomie l'empêche de dire plus de deux mots d'affilée. Elle doit à chaque fois laisser la valve faire rentrer l'air. Mais elle ne perd pas espoir.
"Même quand je pense être bloquée pendant des semaines sans pouvoir faire telle chose, il y a un effet magique qui fait que ça devient possible du jour au lendemain", s'emballe-t-elle. Comme parler, une autre nouveauté pour cette femme dont la gouaille méditerranéenne perce encore dans la voix, au ton désormais presque robotique. Elle devait avant se contenter d'écrire sur une ardoise pour communiquer.
Des malades déjà mourants
Directrice d'un pôle médico-social pour personnes handicapées en région parisienne, elle a géré les premières contaminations au sein de son établissement. "Il n'y avait pas de protection, on était dans des conditions très précaires...", se rappelle-t-elle. Elle se souvient de nuits entières à essayer de faire venir le Samu "pour qu'ils acceptent d'emmener nos malades, certains déjà mourants. On leur disait au revoir, sans pouvoir les accompagner". Cette évocation la submerge d'émotion et le bip de la machine surveillant son pouls s'emballe. Des larmes coulent sur son visage. "C'est normal, vous êtes émue, votre coeur bat vite", intervient Marylène Jousse, cheffe de l'unité de médecine physique et de réadaptation de post-réanimation.
Pas conscience du risque
Corinne reprend le souffle qu'elle n'a pas, puis son récit, tandis que l'équipe soignante se presse sur le pas de la chambre pour l'écouter. "Je n'avais pas conscience du risque, je ne pensais pas me retrouver comme je suis maintenant". "Un soir, j'étais chez moi, j'avais de la fièvre, des difficultés respiratoires, j'ai appelé le 15, ils m'ont envoyé une ambulance... Enfin, ils ont quand même réussi à se tromper d'adresse", ironise-t-elle. "Mon dernier souvenir, ce sont les urgences de Lariboisière. Ensuite, je me suis réveillée et quelqu'un me dit 'Madame, vous avez fait une complication au Covid, vous avez été maintenue une semaine en coma artificiel, votre rein a lâché, on vous a mis sous dialyse'. Ca fait un drôle de réveil, je vous le dis". Malgré les médicaments, les douleurs sont encore "horribles", témoigne cette rescapée. "Des scratchs qu'on vous enlève, des trachéites des sondes, qui font comme si on vous pliait" la gorge. "Je suis étonnée d'être en vie, j'ai l'impression d'être morte et qu'on m'a fait revenir". Son souvenir le plus fort : sa première gorgée d'eau. "C'était mon plus grand rêve. Et quand j'ai pu boire deux cuillères de Cristaline..."