Handicap.fr : Après une semaine de « célébration » des 20 ans de la « loi handicap », qu'en retenez-vous, en tant que secrétaire générale du Comité interministériel du handicap (SG CIH) ?
Céline Poulet : Le secrétariat général du CIH assure le suivi de l'application de la convention relative aux droits des personnes handicapées pour le gouvernement. À l'occasion de cet anniversaire, nous retiendrons donc plus particulièrement les propos de Jonas RUSKUS, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la France sur l'application de cette convention, que l'approche par les droits fondamentaux doit être la seule boussole des politiques publiques. Nous avons pu voir au cours des différents débats et échanges de la semaine dernière que nous n'y sommes pas encore. La vision paternaliste et médicale est encore très présente en France, nous n'avons toujours pas intégré la définition du handicap promue par l'ONU. Il faut donc arrêter de parler de « changement de regard » afin de nous concentrer sur l'effectivité des droits des personnes et les moyens pour y arriver. L'État et les pouvoirs publics ne pourront pas le faire seuls, il faut impérativement favoriser la véritable participation des personnes directement concernées.
H.fr : Pour rappel, quelle est la mission du SG CIH ?
CP : Il assure la coordination des politiques publiques avec et pour les personnes en situation de handicap et aide à la préparation des CIH et CNH (Conférence nationale du handicap). Il s'appuie, pour cela, sur le réseau des Hauts fonctionnaires handicap et inclusion et, pour la déclinaison territoriale, sur le réseau des sous-préfets référents handicap et inclusion. Le SG CIH aide également au fonctionnement du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Il coordonne l'accessibilité et la conception universelle, renforce la participation des personnes concernées, et traite des sujets comme les violences contre les femmes et enfants handicapés, ainsi que l'accès à une vie intime et sexuelle.
H.fr : La désinstitutionalisation s'est notamment invitée dans les débats, quelle est votre position ?
CP : En ratifiant la convention relative aux droits des personnes handicapées, la France s'est nécessairement engagée vers la désinstitutionalisation. On entend ici et là que la France pourrait choisir d'appliquer certains articles de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et pas d'autres. Ce sont des positions surprenantes mais il faut surtout rappeler que ce n'est pas possible : tous les articles et leurs conséquences doivent être mis en œuvre. Avec Maxime Oillaux, chef de projet sur la participation des personnes au sein du SG CIH, nous avons tenté d'expliquer* ce que signifiait ce terme pour éviter les incompréhensions et les craintes, qui peuvent tout à fait se comprendre.
La désinstitutionalisation, ce n'est pas fermer tous les ESMS d'un jour à l'autre et laisser les gens repartir dans leurs familles ou dans la rue sans accompagnement. Par contre, il s'agit d'en finir avec la logique d'établissement all-inclusive enfermant. Il nous faut développer des services de soutien qui doivent perdurer en se transformant au gré des demandes des personnes, et des solutions d'hébergement, médicalisé quand c'est nécessaire, absolument respectueuses des droits fondamentaux des personnes. C'est le sens de l'histoire : il faut une désinstitutionnalisation programmée, organisée, dans le respect des choix et droits des personnes. La personne n'est plus confiée à des spécialistes comme un objet, elle est soutenue quand elle en exprime le besoin, avec sa famille, pour vivre sa vie comme tout un chacun. Une désinstitutionnalisation redonnant confiance à un monde médico-social qui s'interroge sur le sens à donner au travail social.
H.fr : L'accessibilité a également été au cœur des échanges. Gros chantier en perspective ?
CP : À notre sens, il ne s'agit pas d'un autre chantier ! Il n'appartient pas qu'à l'offre médico-sociale de se transformer, c'est à tous les services rendus par la société de se rendre accessibles dans tous les domaines de vie des personnes. L'un ne va pas sans l'autre. La société accessible est la première base d'une société non discriminante. Sophie Rattaire, coordinatrice interministérielle à la conception universelle et à l'accessibilité au sein du SG CIH, le rappelle constamment. C'est bien cette démarche systémique, en coresponsabilité, qui permettra de tenir ce cap.
Prenons un exemple : si Julien veut faire du Judo, il doit pouvoir le faire dans le club de proximité : ce dernier doit se rendre accessible et il peut être soutenu par un professionnel du médico-social pour comprendre les besoins de Julien. Il pourra alors pratiquer son sport comme tout le monde. C'est la même démarche à la crèche, à l'école, dans l'emploi et dans tous les domaines de vie. Il faut à la fois accélérer sur l'accessibilité et envisager des régimes de sanctions quant à la non-application de la loi et, j'insiste, s'appuyer sur les personnes, expertes des freins qu'elles rencontrent, pour nous aider à identifier et lever les obstacles.
H.fr : L'accessibilité à la communication, via le déploiement de la communication alternative et améliorée (CAA), est également l'un de vos chevaux de batailles...
CP : Exactement, il est urgent de donner à chacun les moyens de pouvoir communiquer. Le socle de la participation, c'est la communication et aujourd'hui nous n'y sommes pas encore ! Combien de personnes non oralisantes ne peuvent exprimer leurs souhaits ? C'est un axe prioritaire. Si demain vous avez un accident, la première chose que vous ferez en vous réveillant, c'est de vouloir communiquer avant même de vous lever, et si vous ne pouvez pas, comment ferez-vous ? La CAA doit être au cœur de toutes nos actions et toujours considérée comme une priorité, un prérequis. Il n'y a pas de « oui mais », « pas pour tous » ou « c'est trop difficile » : tout le monde peut communiquer, ce qui importe c'est de trouver les bonnes démarches et les bons outils.
H.fr : D'autres chantiers en cours ?
CP : Nous allons également poursuivre le déploiement d'outils favorisant la pleine participation des personnes, avec les faciliteurs et l'intervention par les pairs : des faciliteurs pour aider les personnes qui en ont besoin à faire leurs propres choix, des pairs pour ne jamais plus faire sans les personnes, leurs expériences et leur vécu !
Autre enjeu majeur : la lutte contre les violences à l'encontre des personnes handicapées, et particulièrement des femmes et des enfants. Seule une mobilisation interministérielle permettra d'enrayer ce fléau. Nous nous appuierons sur le formidable réseau des centres ressources régionaux Intimagir, dédiés à la vie affective et sexuelle. Et nous poursuivrons le déploiement des « Cap parents » dans toutes les régions, afin que le droit à la parentalité des personnes en situation de handicap soit soutenu.
Enfin, un sujet sur lequel nous souhaitons avancer et qui est encore trop méconnu : développer la médiation animale dans tous les domaines de vie, comme c'est notamment le cas dans le domaine de la justice ou de l'armée.
* POULET, C. et OILLAUX, M. (2024). Le respect des droits fondamentaux : boussole de la révolution médico-sociale. Empan, n° 135(3), 19-26. https://doi.org/10.3917/empa.135.0019
© Céline Poulet