Par Anastasia Clark
"On nous déboute et on nous redirige vers le cimetière", déplore Marina Lissovaïa, une Moscovite de 25 ans qui souffre d'une amyotrophie spinale (AS), une maladie génétique qui affaiblit progressivement ses muscles jusqu'à la paralysie. Après des années de déclin, les personnes atteintes de cette maladie incurable peuvent mourir en ayant perdu la capacité de respirer. Mais des traitements existent qui permettent de ralentir sa progression.
Une prise en charge "irréalisable"
En Russie, deux de ces médicaments, parmi les plus chers au monde (articles en lien ci-dessous), sont disponibles. Mais il faut compter plusieurs centaines de milliers d'euros par an pour un traitement complet, alors que le salaire médian russe est d'environ 370 euros. Les régions russes ont théoriquement l'obligation légale de prendre en charge ces traitements coûteux mais, dans la pratique, les autorités locales rechignent souvent à payer. Ainsi, à Moscou, ville la plus riche du pays, aucun des 38 adultes connus souffrant d'une AS n'a obtenu une prise en charge, selon l'association russe "Familles SMA" (Spinal Muscular Atrophy). Mme Lissovaïa a essuyé deux refus de la part d'une commission médicale qui a jugé une prise en charge de son traitement "irréalisable". Cette année, elle a aussi perdu un procès contre le département de la Santé de Moscou.
"Mon ami est mort"
Exaspérée, Mme Lissovaïa, qui se déplace en fauteuil roulant, a décidé de changer de méthode. Fin septembre, elle a organisé une action devant la mairie avec trois fauteuils roulants vides sur lesquels étaient posées les photos de trois Moscovites morts d'une AS depuis 2016. "Je voulais leur montrer ce qui se passerait si on attendait encore", explique à l'AFP cette brune aux yeux en amande soigneusement maquillés. "Mon meilleur ami est mort avant d'avoir eu le traitement. Et beaucoup d'autres personnes aussi", souffle-t-elle. Pour l'instant, elle peut télétravailler pour une banque en utilisant son ordinateur. Mais elle perd peu à peu l'usage de son bras gauche et de ses capacités respiratoires et vit avec l'angoisse que tout s'arrête subitement.
Le cerveau fonctionne jusqu'au bout
Ce qui est "effrayant", explique Daniil Maximov, un autre Moscovite, âgé de 19 ans, souffrant d'une AS, c'est que "tu te rends compte de tout, car ton cerveau continue de fonctionner jusqu'à ta mort". Ce designer a reçu pendant neuf mois le médicament nécessaire grâce à une aide ponctuelle du groupe pharmaceutique Roche. Il a ainsi pu regagner des capacités pulmonaires et musculaires dans son cou. Mais ces progrès se sont arrêtés depuis que ce traitement temporaire a pris fin et que c'est désormais au gouvernement russe de payer. "La Constitution dit que l'Etat doit soigner ses citoyens. Je suis citoyen russe. Où est mon traitement?", lance Daniil Maximov, un jeune homme blond fan de rap.
Appel au Kremlin
Il regrette de devoir "mendier" un traitement et a également manifesté devant des bâtiments publics. "Je n'enfreins pas la loi, je ne défie pas le gouvernement", insiste-t-il. La mairie de Moscou a bien ouvert en 2021 un centre spécialisé où des médecins évaluent les demandes de prise en charge des malades d'AS. Mais M. Maximov et Mme Lissovaïa affirment qu'il a rejeté jusqu'à présent toutes les requêtes. Contacté, le département de la Santé de Moscou n'a pas répondu aux questions de l'AFP. Dans l'impasse, M. Maximov envisage désormais de solliciter directement Vladimir Poutine. Dans d'autres régions que Moscou, certains patients ont pourtant eu accès au précieux traitement. Selon Olga Guermanenko, de l'association "Familles SMA", environ un quart des 300 Russes adultes souffrant d'une AS en bénéficient. "Il y a une solution, mais c'est probablement une question de volonté politique", estime Mme Guermanenko, dont la fille de 13 ans est atteinte de cette maladie.
Depuis la création en 2021 d'un fonds sur ordre de M. Poutine, financé par les impôts des plus riches, la plupart des enfants souffrant d'une AS sont soignés gratuitement. Mais ce droit s'arrête souvent à 18 ans. "S'il existe un traitement qui peut arrêter l'inéluctable progression d'une maladie qui condamne à une mort lente, pourquoi ne pas l'utiliser ?", demande Mme Guermanenko.