* CPSF : Comité paralympique et sportif français
Handicap.fr : Selon vos propres mots, vous avez décidé de vous « engager » dans cette campagne présidentielle. De quelle façon ?
Emmanuelle Assmann : Le 22 mars 2017, j'ai adressé une lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle, publiée sur le site de Libération (en lien-ci-dessous). Je me souviens du débat Royal/Sarkozy en 2007 ; il y avait eu un échange assez long sur la thématique du handicap. Mais ce n'est apparemment pas le cas lors de cette campagne ; juste quelques bribes. S'il y a bien deux sujets qui sont systématiquement absents des programmes et des débats publics, ce sont le sport et le handicap. Je voulais convaincre les candidats qu'il ne s'agit pas là de « petits » sujets et j'ai trouvé important de leur dire que le mouvement paralympique avait également des choses à apporter.
H.fr : Il est vrai que, cette année, de nombreuses associations y vont de leurs revendications ; les candidats n'ont jamais été autant interpellés (article en lien ci-dessous). Ne valait-il pas mieux faire front ensemble pour parler d'une même voix ?
EA : Non, je ne vois pas les choses comme ça. Il y a assez de voix à faire entendre pour que chacun puisse s'exprimer. On n'est pas dans une compétition là. Alors, oui, Philippe Croizon (ndlr : avec 15 personnalités, il a adressé une lettre ouverte aux candidats, article en lien ci-dessous) est davantage invité sur les plateaux télé que les présidents d'associations mais l'important c'est que chacun puisse prendre la parole et défendre ses idées, avec des angles différents.
H.fr : Vous avez adressé votre lettre aux candidats ?
EA : Non, pas personnellement mais les réseaux sociaux sont assez puissants pour faire leur job.
H.fr : Vous les encouragiez à venir à votre rencontre. Avez-vous eu des réponses ?
EA : Non, aucune à ce jour.
H.fr : Pourquoi maintenant ? Pendant cette campagne ?
EA : Parce que c'est le bon moment pour attirer l'attention sur ce qui me tient à cœur, c'est-à-dire le pouvoir du sport en faveur de l'intégration des personnes handicapées. Tout le travail mené dans le cadre de la candidature de Paris 2024 me le prouve au quotidien. Le sport, au-delà des bénéfices qu'il apporte lorsqu'on apprend à se reconstruire, c'est aussi un lieu de partage où les différences sont gommées par une passion commune et où l'on ose se parler. La société a tendance à opposer les gens, or il ne s'agit pas de se battre les uns contre les autres. C'est très flagrant dans cette campagne et plus vrai encore dans le paralympisme car nous sommes face à un public qui a du mal à trouver sa place et à être acteur de sa vie dans la société actuelle.
H.fr : Dans le sport, la personne handicapée peut enfin prendre les rênes ?
EA : Oui, je vais vous citer les paroles d'une jeune femme pratiquant la boccia ; elle me confiait récemment : « Dans ma vie, je ne choisis pas quand je me lève, quand je me lave, quand je m'habille. Mais, à la boccia, c'est moi qui deviens maître du jeu. » Pas question pour elle qu'on rogne ses heures de pratique ; c'est une question de survie.
H.fr : L'ambition « politique » du sport est donc manifeste…
EA : Oui, il faut transposer dans la société ce que l'on arrive à mettre en œuvre dans le sport et arrêter de décider à la place des personnes handicapées. Favoriser une démocratie participative. Je crois vraiment que la pratique sportive peut y contribuer. Le slogan du Comité international paralympique, c'est « Spirit in motion », l'esprit en mouvement. Tous ensemble dans la même énergie pour faire avancer la roue !
H.fr : Dans votre lettre, vous insistez également sur la nécessité d'encourager la pratique sportive des élèves en situation de handicap…
EA : Oui, entre la profusion de certificats de contrindications, les parents frileux et les profs qui vous disent qu'avec trente élèves ils ne peuvent pas gérer les cas particuliers, ça devient compliqué. Rien de tel pour faire entrer dans la tête de tous ces jeunes que le sport n'est pas pour eux. Et c'est le même problème dans les établissements médico-sociaux où il est laissé à l'abandon. Il n'y a plus de moniteurs ; faut faire des économies ! Mais ce sont de fausses économies. C'est le sport qui m'a appris à remonter sur mon fauteuil lorsque je tombais par terre. Son impact va bien au-delà du loisir.
H.fr : C'est la première fois qu'un « haut dignitaire » du sport paralympique français prend ainsi position ?
EA : Je ne sais pas, je n'étais pas présidente il y a cinq ans. Mais il est vrai que la candidature de Paris 2024 permet de prendre conscience de manière plus forte encore des enjeux sociétaux et du pouvoir du sport pour faire évoluer notre société.
H.fr : Ces enjeux sociétaux vont-ils peser dans la balance pour l'attribution en septembre de la ville hôte 2024 ? L'engagement du mouvement paralympique français peut-il avoir un impact favorable sur la décision du CIO (Comité international olympique) ?
EA : Disons que nous mettons toute notre énergie et notre détermination pour porter ce dossier. Il faut savoir que le process de candidature est uniquement porté par le CIO mais nous tenons à ces deux faces d'une même pièce. Notre candidature aux JO et JP de 2024 veut inspirer une société où la diversité est pensée comme un catalyseur de richesses et d'intégration. Et c'est la génération 2024, solidaire et déterminée, qui construira cette société où chacun a sa place et est acteur d'un développement durable, au service de tous !
H.fr : Olympiques et paralympiques sont souvent associés dans la bouche de ceux qui parlent de Paris 2024…
EA : Oui, c'est vrai. C'est important d'afficher cette double identité parce que longtemps « paralympique » a été considéré comme un terme dévalorisant, presque un gros mot. Or il faut que nos sportifs soient fiers d'appartenir à ce mouvement. Historiquement, il faut se souvenir que les Jeux paralympiques ont été créés parce qu'ils ne pouvaient pas participer aux compétitions des « valides ». Ça restera toujours le petit frère qui a grandi dans l'ombre mais aussi grâce au grand frère.