« Ils vivent le jeu » : à l'institut médico-éducatif (IME) de Villers, en Seine-et-Marne, des adolescents en situation de handicap apprennent les rudiments des échecs sur un plateau géant, une expérience visant à évaluer les bienfaits de ce sport cérébral sur les troubles cognitifs ou autistiques. Sur son destrier imaginaire, Maxim, en cavalier blanc, hésite entre plusieurs cases noires autour de lui. Puis il se lance enfin sur la toile carrelée de noir et de blanc, sous les yeux de ses trois camarades de jeu et de Jean-François Porcher, son enseignant spécialisé. Le jeune homme de 18 ans est atteint d'un trouble du spectre de l'autisme (TSA). Ses camarades, Angeline, Ousmane et Ethan, présentent, eux, des troubles cognitifs. Chacun porte fièrement l'attribut d'une pièce sur la tête, l'un la coiffe du fou, l'autre de la tour, etc. Maxim, le plus bavard, ne tarde pas à se faire « manger » par Angeline, qui se vante d'être la pièce « la plus puissante » du jeu, la dame.
Un programme expérimental
« Ce n'est pas seulement gagner ou perdre, ils vivent le jeu », souffle M. Porcher. Ce que Maxim confirme : « Je m'imagine un peu dans un royaume ». L'IME de Villers, où sont pris en charge une soixantaine de jeunes âgés de 6 à 20 ans, est l'un des quatre centres français ayant participé à la phase de test du programme « Infinite », porté en France par la Fédération française des échecs (FFE). D'ici 2024, leur nombre va être porté à 40, grâce à de premiers résultats positifs (Lire : Autisme, dys, TDAH : les bienfaits du jeu d'échecs?). A terme, si l'étude s'avère concluante, « on peut espérer que les échecs fassent partie d'une intervention non médicamenteuse recommandée par les professionnels de santé et du médico-social aux parents pour faire progresser leurs enfants », explique Franck Droin, président de la commission santé, social et handicap de la fédération. L'enseignement se décline en trois formats : l'échiquier mural, où sont expliqués les différents déplacements, sa version XXL pour ensuite incarner les pièces, puis l'échiquier standard, afin de pouvoir jouer « comme tout le monde », détaille l'enseignant spécialisé.
Gagner en autonomie
Selon Jean-François Porcher, cette façon de jouer avec son corps permet notamment d'améliorer la gestion de l'espace - clé pour ces jeunes qui doivent « gagner le plus possible en autonomie pour ne plus avoir besoin des parents » -, mais également de mieux gérer son temps, son stress, ou de faire preuve d'humilité. Après une dizaine de séances organisées depuis septembre, les élèves - notamment ceux présentant des troubles cognitifs - sont désormais « beaucoup plus attentifs », et parviennent à élaborer des stratégies, constate l'enseignant spécialisé. « Ils ont souvent une image d'eux-mêmes peu valorisante, mais progressivement, voir qu'ils font des progrès leur donne confiance », observe-t-il. Maxim l'affirme : « Au début, j'avais beaucoup de mal à gérer les déplacements, mais maintenant je suis sûr que je pourrais devenir Boboyougov ! », un nom tout droit sorti de son imagination mais aux sonorités similaires à ceux des grands champions russes qu'il admire.
Bientôt une extension aux classes Ulis ?
Le programme « Infinite », piloté à plus grande échelle par la Fédération internationale des échecs (Fide), est également développé dans une quinzaine d'autres pays dont le Bélarus, l'Espagne, le Maroc ou encore la Mongolie. Jean-François Porcher émet toutefois certaines réserves concernant certains profils pour lesquels il est « difficile de capter leur intérêt », souligne-t-il, et « certains ne peuvent gérer le déplacement de plus de trois ou quatre pièces ». Il raconte aussi avoir été confronté à des enfants qui, faute de comprendre le sens figuré, refusaient de se faire « manger ». Au-delà des instituts médico-éducatifs, la FFE verrait bien ce programme s'étendre « hors les murs », par exemple aux unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) qui accueillent à l'école des élèves porteurs d'un handicap. Et au centre de Villers, « nous pourrions organiser des échanges avec des collèges ou des lycées comme on le fait avec la danse », glisse Jean-François Porcher, pour « faire en sorte que les mondes ne soient plus séparés ».