Autisme: une entreprise facilite le diagnostic des salariés

Atypique@CGI, c'est le nom du projet pilote lancé par l'entreprise CGI pour faciliter l'accès au diagnostic des troubles cognitifs à ses 11 000 salariés. Sa responsable mission handicap, Magali Fabre, présente cet outil novateur.

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Handicap.fr : Responsable mission handicap au sein de CGI, entreprise mondiale de conseil en technologie de l'information, vous avez créé Atypique@CGI. De quoi s'agit-il ?
Magali Fabre : Ce projet pilote a pour objectif de faciliter le diagnostic des TSA/TDAH (troubles du spectre de l'autisme et du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité). Il est mis à disposition de nos 11 000 collaborateurs partout en France et de façon anonyme.

MF : Pourquoi une telle idée ?
MF : Elle répond à une nécessité, celle d'obtenir un diagnostic à l'âge adulte, démarche encore trop complexe. Au-delà du cheminement personnel qui n'est pas anodin, il faut à peu près trois ans pour obtenir un rendez-vous dans un centre ressources autisme ou prendre le risque, en cherchant par ses propres moyens, de tomber sur des professionnels qui ne sont pas experts de l'autisme féminin ou adulte.

H.fr : Comment avez-vous fait ce constat ?
MF : C'est un retour d'expérience récurrent. Aujourd'hui, le milieu de l'informatique est plus ouvert aux profils Asperger, et plusieurs de nos employés m'ont raconté leur histoire. Cela m'a permis aussi de rencontrer des professionnels qui faisaient inlassablement mention de difficultés d'accès au diagnostic.

H.fr : Certains salariés de CGI s'interrogeaient-ils sur leur éventuel autisme ?
MF : En effet, plusieurs personnes m'ont confié avoir mené des démarches en ce sens.

H.fr : Ils n'avaient donc pas encore de RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) ?
MF : Non, la notion de « handicap » est large, de sorte que de nombreuses personnes ne font pas cette démarche administrative, surtout s'ils ou elles estiment ne pas en avoir « besoin » car leur contexte professionnel s'est « adapté » : management bienveillant, auto-organisation… Alors qu'ils devraient pouvoir obtenir des adaptations légitimes via la RQTH.

H.fr : Quels retours avez-vous eu jusqu'à maintenant ?
MF : Nous avons lancé ce projet dans le cadre d'une conférence sur les intelligences atypiques, réalisée par Fabienne Cazalis, chercheuse au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et lauréate du Handitech Trophy 2019, lors de la SEEPH (semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées). Cette conférence a réuni entre 300 et 500 collaborateurs de CGI et incité 17 personnes à solliciter le dispositif Atypique@CGI.

H.fr : Des personnes que vous aviez identifiées au préalable ?
MF : Probablement pas car la démarche est anonyme. Certaines avaient déjà passé un test de QI : WAIS et d'autres se sont simplement reconnues dans la description et ont contacté le dispositif.

H.fr : Vers qui doivent-elles se tourner?
MF : La prise en charge est assurée par l'institut Mentis Portae. Première étape : répondre à un questionnaire à peu près similaire à celui des centres ressources autisme. Après avoir passé un entretien via Skype pour évaluer la pertinence de la démarche, les volontaires rencontrent une neuropsychologue qui va réaliser les tests et établir un pré-diagnostic, le diagnostic final pouvant être posé uniquement par un psychiatre spécialisé dans l'autisme pour adulte. Nombre de personnes autistes nous confient avoir été confrontées à des psychiatres qui ne maîtrisaient pas le sujet et délégitimaient leur démarche ; encore un dysfonctionnement qui ne facilite pas la bonne compréhension et prise en compte de ce trouble.

H.fr : Quel est le délai pour obtenir un diagnostic ?
MF : Entre 1 à 3 mois, c'est vraiment rapide !

H.fr : Que proposez-vous, ensuite, à vos salariés ?
MF : Un accompagnement vers la RQTH et l'octroi d'outils adaptés : casque anti-bruit, montre connectée qui mesure le stress... Pour les personnes autistes Asperger, par exemple, nous avons mis en place des coachings spécialisés. Un accompagnement spécifique peut par exemple être proposé pour accompagner leur choix de carrière : « Vais-je plutôt aller vers un poste de manager, d'expert… ? Sera-t-il compatible avec certaines contraintes liées à mon 'profil' ? ».

H.fr : De nombreuses entreprises ont tout intérêt à faire de la reconnaissance en interne pour éviter d'avoir à embaucher des travailleurs handicapés en externe et ainsi s'affranchir de leurs obligations. Cela fait aussi partie de votre démarche ?
MF : Ce n'est pas une question de chiffres mais bien d'accès aux droits : celui de travailler dans un contexte favorable à son épanouissement professionnel car adapté à ses contraintes.

H.fr : En quoi la diversité est-elle un atout pour l'entreprise ?
MF : On a intérêt, aujourd'hui, pour le maintien des talents et le bien-être en entreprise, à reconnaître les spécificités des salariés et à leur donner l'opportunité de laisser exprimer leurs potentialités. C'est ce qu'une mission handicap peut impulser au sein d'une entreprise qui est souvent dans des sujets plus opérationnels, concrets et quotidiens. Nous avons la chance de pouvoir prendre du recul et de tenir un discours un peu différent qui va servir à tous. La neurodiversité enrichit le collectif, à condition de donner à tous les moyens d'évoluer.

H.fr : Votre filière, celle de l'informatique, est-elle particulièrement impactée par la neurodiversité ?
MF : Oui et par le turnover aussi. Ces deux éléments entraînent un véritable enjeu de qualité de vie au travail. C'est intéressant qu'une mission handicap s'en saisisse pour faire en sorte que le handicap ne soit pas considéré comme une contrainte RH mais comme une opportunité pour toute l'entreprise.

H.fr : Ce dispositif est-il inédit ?
MF : A ma connaissance, oui. Les psychologues avec lesquels je travaille n'ont jamais été sollicités auparavant pour un tel projet.

H.fr : Qu'en pensent-ils ?
MF : Ils trouvent cela génial ! Ils sont aussi très étonnés de rassembler deux mondes, celui de l'entreprise et de la psychologie, qui ne se côtoient pas souvent. Ce dispositif est une véritable découverte mutuelle.

H.fr : D'autres projets en cours ?
MF : CGI vient de lancer sa campagne marque employeur qui vise à toucher des futurs talents dans toute leur diversité : jeunes diplômés, expérimentés, femmes, hommes, en situation de handicap ou pas... Son credo : vous êtes unique et ça nous plaît ! Le concept est inspiré de l'histoire d'Alan Turing, génie des mathématiques et autiste Asperger, connu pour avoir développé Enigma, la machine qui a décodé les messages des Allemands durant la Seconde guerre mondiale. Afin de recruter l'équipe qui l'aiderait à concevoir cette machine, Turing publia des codes secrets dans les journaux de l'époque, et seuls ceux qui arrivaient à les déchiffrer étaient sélectionnés. Sept décennies plus tard, CGI propose à son tour à ses candidats de « casser les codes ».

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