Christèle Kandalaft vient d'avoir son deuxième enfant, Philippine. Un bébé souriant, agréable qui fait le bonheur de ses parents. Mais, rapidement, ils se rendent compte que « quelque chose cloche ». « Ses interactions sont différentes, elle ne réagit pas lors de la diversification alimentaire, contrairement à sa grande sœur qui était tout excitée », révèle sa maman. Il y a surtout « sa petite main droite » qui reste fermée et qu'elle n'utilise pas. Mais l'inquiétude des parents est balayée d'un revers de mains par plusieurs pédiatres. « 'Tout va bien', me disaient-ils. Mais je savais que ce n'était pas le cas… ». Alors Christèle tape les symptômes de sa fille sur Internet : le poing fermé avec le pouce recroquevillé dans le creux de la main figure en tête des symptômes de l'AVC (Accident vasculaire cérébral) infantile. « J'ai posé le diagnostic, toute seule en trois clics », révèle-t-telle, amère. A 8 mois, le verdict tombe : Philippine a une hémiplégie droite, elle est évaluée à 4 mois sur le plan moteur. En réalité, elle a fait un AVC in-utero, non diagnostiqué à la naissance. Dur à encaisser pour des parents à qui l'on assurait que « tout allait bien »… Des souvenirs douloureux que Christèle dévoile lors de la 31e édition de l'EACD (European academy of childhood disability), la plus grande conférence sur le handicap de l'enfant, qui s'est tenue à Paris du 23 au 25 mai 2019.
Pas une seconde à perdre
Juste après la confirmation du diagnostic d'AVC qui a provoqué une infirmité motrice cérébrale (IMC), les parents de Philippine avaient prévu un voyage en famille de trois semaines au Canada qu'ils décident de maintenir pour démarrer la rééducation sur place. Il ne faut plus perdre une seconde ! La petite fille est suivie par un kinésithérapeute pour ses problèmes moteurs, par un ergothérapeute pour les troubles sensoriels et bénéficie aussi d'une prise en charge oro-motrice pour ses troubles de l'oralité et de déglutition. L'équipe thérapeutique préconise aussi de la guidance parentale avec des exercices à répéter régulièrement à la maison. De retour en France, Christèle « tombe des nues ». « Outre la kiné à raison de deux séances par semaine seulement, on ne nous proposait aucune prise en charge pour ses autres déficiences », explique-t-elle. Avec un tel écart de discours, elle décide d'organiser elle-même la rééducation de sa fille en créant autour d'elle un réseau de thérapeutes qui partagent sa vision. Elle trouve une ergothérapeute à Lyon, Elsa Thevenon, spécialisée en pédiatrie et qui pratique la thérapie CME Medek de façon intensive. Elsa leur propose également de la guidance pour le bras hémiplégique ainsi que des conseils sur le comportement et l'indépendance au quotidien. « Nous allions la voir toutes les six semaines, pour une prise en charge quotidienne de deux heures pendant quatre jours », précise la maman.
Confrontés à un dilemme
Mais, au fil du temps, les difficultés s'accumulent… D'abord des troubles neurovisuels puis des spasmes infantiles, « la pire forme d'épilepsie », indique-t-elle, qui entraîne des effets délétères sur le cerveau. Malgré des « traitements extrêmement lourds », aucune amélioration, Philippine est pharmaco-résistante. Les parents sont alors confrontés à un dilemme. Face à la menace de propagation de l'épilepsie dans le cerveau, les médecins proposent une neurochirurgie. Mais cette intervention comporte des risques, Philippine pourrait perdre certaines facultés. Le temps, presse, il faut agir, ils donnent le feu vert pour l'hémisphérotomie. Le principe ? Déconnecter l'hémisphère gauche où se trouve le foyer épileptique pour sauver l'hémisphère sain, le droit. L'opération est un succès, « Philippine n'a perdu aucune acquisition », se réjouit sa mère.
Thérapie intensive et ludique
Christèle quitte son emploi pour se consacrer pleinement à sa fille. « Gérer les rendez-vous médicaux, l'emmener voir tous ces spécialistes… C'est un boulot à plein temps ! », affirme-t-elle. Elle devient, par la force des choses, coordinatrice thérapeutique et fait le lien entre cette ribambelle de médecins et de thérapeutes. En quête de thérapies innovantes, elle tombe sur les travaux du Pr Yannick Bleyenheuft, chercheuse en sciences de la motricité à l'université catholique de Louvain (Belgique), qui a mis au point une méthode de rééducation intitulée HABIT-ILE (Hand and arm bimanual intensive therapy including lower extremities), littéralement thérapie intensive bimanuelle des mains et des bras, incluant les membres inférieurs, portée par la Fondation Paralysie Cérébrale et particulièrement dédiée aux enfants paralysés cérébraux (l'autre définition d'IMC, dont les causes sont multiples : AVC du nourrisson, prématurité, cordon ombilical à la naissance, infection de l'utérus, jaunisse...). Le hic, c'est que Philippine est trop jeune pour y participer. Combattive, la maman ne désespère pas et attend avec impatience qu'un second dispositif soit déployé pour les moins de 4 ans. « Et, là, super nouvelle ! En mars 2018, Yannick Bleyenheuft lance un projet pilote, à Bruxelles (Belgique) pour les tout-petits, de 1 à 4 ans », se félicite-t-elle. Depuis, Philippine a participé à deux de ces stages.
50 heures de rééducation en 10 jours
Au programme : 50 heures de rééducation en 10 jours. « Une intensité nécessaire, selon Yannick Bleyenheuft, pour faire évoluer le cerveau et constater des progrès rapides ». Au préalable, les parents définissent des objectifs fonctionnels avec l'équipe basés sur les observations dans le quotidien et les motivations de l'enfant : monter et descendre les escaliers, baisser et monter son pantalon et sa couche, mettre son manteau, faire du tricycle…. Les professionnels accompagnent ensuite l'enfant dans l'accomplissement de ces objectifs, via des activités ludiques. « Contrairement aux thérapies habituelles, ils guident l'enfant mais ne font pas les mouvements à sa place », précise la chercheuse. La méthode de Yannick Bleyenheuft repose sur les quatre piliers de la neuroplasticité : intensité, augmentation graduelle de la difficulté, volontariat et motivation. Un savant mélange qui fait ses preuves…
Des progrès considérables
Après cette expérience, « Philippine a fait des progrès considérables sur le plan moteur mais aussi un bond en avant au niveau cognitif et langagier », confie sa maman, des bénéfices transverses complètement inattendus et presque immédiats ! « Dès les premières semaines qui ont suivi, elle parlait mieux, avait plus de vocabulaire… Et avait réussi à réveiller son petit bras qui semblait condamné ! », poursuit-elle. « Les pros ont recréé une connexion, maintenant il faut continuer à travailler à la maison pour la pérenniser », ajoute-t-elle. Sa recette : faire du renforcement positif et féliciter pour chaque « petite » réussite. Aujourd'hui âgée de 4 ans et demi, Philippine n'a qu'une seule hâte : retrouver Denis et Lucie, ses thérapeutes, et elle n'est pas la seule… « Moi aussi j'ai hâte ! Elle était tellement contente, elle en parle à tout le monde et leur envoie régulièrement des vidéos de ses progrès. C'est simple, elle les adore ! J'ai l'impression que tout le temps qui passe, hors du stage, c'est du temps perdu », livre-t-elle.
Des médecins plus réceptifs
Christèle souhaite désormais témoigner des bénéfices de la méthode HABIT-ILE partout où elle se rend. « J'ai contacté tous les hôpitaux (Debré, Necker, Saint-Maurice…), avoue-t-elle. On sent que les mentalités sont en train de changer, les médecins semblent plus réceptifs ». Selon Yannick Bleyenheuft, « les témoignages sont parfois plus importants que les publications scientifiques ». Mais il y a encore quelques années, « c'était très compliqué », déplore Christèle. « Pour certains médecins et thérapeutes, la rééducation intensive était largement déconseillée pour les enfants. Je me heurtais parfois à un discours assez culpabilisant et ce n'était pas simple en tant que parents. Aujourd'hui, face aux preuves, ils admettent qu'il y a des bienfaits. Les pratiques s'apprêtent à évoluer mais le chemin est encore long… », conclut-elle. Prochain objectif : voir rapidement cette thérapie se développer partout en France.