Claude, Bruno et Lydie* ont goûté à l'effervescence du festival d'Avignon et y reviennent chaque été avec le même plaisir. Ni les pavés ni le manque de salles ou de dispositifs adaptés ne sauraient décourager ces passionnés du spectacle vivant en situation de handicap.
Organisation exigée !
Claude, en fauteuil roulant électrique, est accompagnée par son mari Michel. « J'adore, c'est un moment important de l'année, nous découvrons de vraies pépites dans tous les genres (classique, humour, contemporain, musical), s'enthousiasme cette cinquantenaire. Cela demande bien sûr un peu plus d'organisation, j'appelle les théâtres du Off pour m'assurer qu'ils sont accessibles. Il faut accepter d'être souvent au premier rang ! La circulation dans la ville n'est pas vraiment un problème, malgré les pavés, car j'ai la chance d'avoir Michel avec moi. » Mais l'expérience n'est pas de tout repos : la sortie de la gare SNCF est en travaux, la pente a été remplacée par des escaliers, contraignant les usagers en fauteuil roulant ou avec une lourde valise à faire un important détour. Pour ne rien arranger, la ville ancienne, classée au Patrimoine mondial de l'Unesco, contient un certain nombre de pavés et de dénivelés, ce qui rend l'aide d'un accompagnateur précieuse et les chaussures plates nécessaires pour tous ! Pour aider ses festivaliers en situation de handicap, Avignon propose une carte d'accessibilité des lieux et des salles ainsi qu'un plan d'accès détaillés.
Des spectacles « qui font réfléchir »
Bruno Gendron, président de la Fédération des aveugles et amblyopes de France (FAAF), vient lui aussi tous les ans depuis 2003. « J'apprécie l'ambiance du festival, les rencontres, les échanges entre spectateurs. J'aime changer d'univers théâtral, voir des spectacles qui font réfléchir, émeuvent, ou du cabaret… Je les sélectionne en fonction des théâtres, ceux essentiellement avec beaucoup de textes. Je dois demander à ce qu'on me lise les pitchs car les sites Internet du festival et du 'Off' ne sont pas accessibles », regrette-t-il. « Lors du 'In', j'assiste à des spectacles proposés avec audiodescription et participe à la visite tactile (scène, éléments du décor, costumes), c'est indispensable surtout dans des grands espaces comme la cour du Palais des papes cette année », poursuit-il. Ses recommandations ? Trois spectacles : Personne n'est ensemble sauf moi, sur le handicap invisible avec des personnes elles-mêmes concernées, Je suis la maman du bourreau, avec Clémentine Célarié, et L'audace du papillon.
Des œuvres musicales et poétiques
La liste des spectacles avec beaucoup de paroles ou musicaux est bien précisée dans les programmes. Comme par exemple le texte bouleversant de Robert Antelme, L'espèce humaine, récit de sa captivité dans les camps en Allemagne en 1945, interprété par la comédienne Anne Coutureau. Ou bien de la poésie à cinq voix avec Bien au-dessus du silence, plein d'espoir, avec les formidables « poètes engagés ». A travers Clara permet de découvrir la musique de Clara Schumann et sa correspondance avec son mari, lue et chantée par Oriane Moretti, soprano, accompagnée au piano. Un beau moment poétique et musical.
Des boucles magnétiques ou portatives
Perdant l'audition, Lydie la soixantaine, a craint de ne plus pouvoir venir à Avignon. « Heureusement mes amis m'ont convaincue de revenir, et j'en profite bien, même si c'est différemment », confie-t-elle. Certains théâtres sont équipés de boucles magnétiques ou portatives, lui permettant d'entendre « directement le son » dans ses oreilles, tandis que les spectacles en langue étrangère sont sous-titrés en français. « Nous choisissons aussi des spectacles très visuels, de la danse, du mime », explique-t-elle. Un conseil ? « J'ai beaucoup aimé Scotland : trois jeunes mimes, clowns prodigieux nous entraînent dans un périple hilarant en Ecosse. Inventif, extrêmement drôle et dépaysant ! »
Des nouveautés pour plus d'accessibilité
Pour la toute première fois, le « In » a proposé une séance Relax lors d'une représentation du spectacle Exit above d'Anne Teresa De Keersmaeker (Lire : La culture se fait "relax" pour les spectateurs "atypiques"). Objectif ? « Profiter du show et vivre ses émotions sans crainte, ni contrainte loin de la foule du centre-ville. »
Pendant quatre représentations d'Antigone in the Amazon de Milo Rau, les spectateurs qui le souhaitent peuvent demander des lunettes connectées Panthea. Ainsi, les personnes malentendantes ou sourdes verront les surtitres en français ou l'interprétation en langue des signes françaises (LSF). « J'aurais bien aimé tester ces lunettes mais je ne serai plus là... », regrette Lydie. Les spectateurs déficients visuels bénéficieront quant à eux d'une audiodescription avec la traduction en français des passages joués dans d'autres langues (du 21 au 24 juillet, réservation : 04 90 14 14 14 et accessibilite@festival-avignon.com . Tarif : 10 euros ainsi que pour l'accompagnateur).
* Les prénoms ont été modifiés
© Christophe Raynaud de Lage