Cambodge : l'incroyable revanche des basketteuses amputées

Le Cambodge compte l'un des plus forts taux de personnes amputées au monde mais certaines retrouvent goût à la vie grâce au sport. Des femmes, autrefois bannies, se lancent à corps perdu dans le basket fauteuil et rêvent des Jeux de Tokyo 2020.

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Par Jerome Taylor et Suy Se

Des cris, des encouragements et du métal qui s'entrechoque... Les premières joueuses de basket-ball en fauteuil roulant du Cambodge rêvent de changer les mentalités dans un pays où les personnes handicapées, nombreuses à cause des mines, peinent à trouver leur place. Sous un soleil de plomb dans la ville de Battambang, dans l'ouest du pays, dix joueuses s'affrontent à l'entraînement. La lutte est intense, jetant au sol l'une des joueuses dont le fauteuil vient d'être percuté. Celle-ci s'empresse de se hisser à nouveau, se démarque et file vers le panier.

Tenues à l'écart de la communauté

Il y a encore peu, ces femmes ne sortaient pas de chez elle, tenues à l'écart du reste de la communauté. Dans ce pays où un cinquième de la population vit sous le seuil de pauvreté, la perte d'un salaire peut en effet être une catastrophe financière pour une famille, provoquant en retour le rejet de la personne handicapée. A cela s'ajoute la croyance bouddhiste que la personne qui se retrouve handicapée paye pour des méfaits commis dans une vie antérieure. « La première discrimination vient de la famille elle-même », explique Sieng Sokchan, la capitaine de l'équipe. « Ils nous regardent comme si nous, les personnes handicapées, nous étions incapables de faire quoi que ce soit, de travailler. Et ils ont honte de sortir avec leurs enfants ou leurs proches handicapés ».

Un des plus forts taux de personnes amputées au monde

Sieng Sokchan est paralysée après avoir été touchée dans le dos par une balle perdue à l'âge de 10 ans. La plupart de ses camarades ont sauté sur des mines, le Cambodge comptant l'un des plus forts taux de personnes amputées au monde, conséquence de trois décennies de guerre civile. Face à l'ostracisme dont elles faisaient l'objet, la plupart de ses coéquipières avaient perdu toute confiance en elles jusqu'à ce qu'elles rejoignent l'équipe. Le sport a modifié le regard que les gens portaient sur ces femmes. L'an passé, l'équipe s'est rendue en Malaisie pour un match, un déplacement qui a impressionné les voisins, raconte Sieng Sokchan, dans un large sourire à l'évocation de ce souvenir.

Elles rêvent des Jeux de Tokyo en 2020

Aujourd'hui, avec son équipe, elle rêve de se qualifier pour les Jeux paralympiques de Tokyo en 2020, même si leurs chances d'y parvenir semblent bien faibles, dans un pays qui n'a même pas encore de ligue nationale de handibasket. « Cela ne leur suffit pas de simplement s'entraîner. Je veux leur offrir une plus grande visibilité, au Cambodge mais aussi à l'international », insiste néanmoins Philip Morgan, à la tête du programme de réhabilitation du Comité international de la Croix rouge (CICR), qui supervise l'équipe. L'an passé, le CICR est parvenu à envoyer une équipe de basketteurs afghans pour les qualifications pour les jeux de Rio. Ils ont finalement échoué lors de cette dernière étape, mais n'en ont pas moins ouvert la voie.

25 000 personnes blessées par les mines

Dans l'usine de prothèses gérée par le CICR qui jouxte le terrain de basket où s'entraîne l'équipe de Sieng Sokchan, 80% des patients venant se faire appareiller ont été blessés par l'explosion d'une mine. Si les campagnes de nettoyage des engins explosifs issus de la guerre ont été importantes au Cambodge ces dix dernières années, d'après Halo Trust, organisation britannique de déminage, les explosions de mines ont laissé au total aujourd'hui 25 000 Cambodgiens amputés. Nimol, mère de 34 ans et autre membre de l'équipe de basketball, a perdu une jambe en défrichant une zone à la frontière avec la Thaïlande. Cette ancienne employée agricole savait que ce travail dans cet ancien bastion de la guérilla khmère rouge (retranchée là après la chute du régime à la fin des années 1970) était dangereux, en raison de la présence de nombreuses mines. Mais elle avait besoin d'argent. « Quand je n'étais pas handicapée, les gens m'employaient pour ramasser des haricots », explique-t-elle pendant une pause lors de l'entraînement. « Après, je n'ai plus eu de travail et donc plus d'argent ». « Depuis que je fais du sport, ma vie a changé. Avant elle était solitaire et sans espoir mais maintenant elle est pleine d'espoir et de joie », s'enthousiasme Sieng Sokchan. « Et je ne me sens plus exclue dans ma famille ».

© Photo d'illustration générale : Emmanuelle Dal'Secco

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