Handicap.fr : Bordeaux se met sur son 31 pour accueillir une compétition internationale en faveur de l'emploi des personnes handicapées…
Joël Solari : En effet, les 25 et 26 mars 2016, Bordeaux va devenir la capitale mondiale en France, après Séoul, des Abilympics 2016, un championnat des métiers qui rassemble 600 concurrents venus de 35 nations. Ce sont en quelque sorte les Jeux paralympiques des métiers ! Je suis administrateur d'Abilympics France et nous avons organisé le 18 mars une soirée à la mairie pour les 90 bénévoles qui doivent accueillir les Délégations du monde ; il y aura 900 bénévoles en tout sur cette manifestation. Avec une cérémonie d'ouverture, le 24 mars, digne des plus grandes compétitions, et un défilé des nations, la fête va être grandiose ! Entre 60 000 et 100 000 visiteurs sont attendus…
H.fr : Joël Solari, vous êtes un incontournable dans le monde du handicap. La liste de vos « casquettes » est impressionnante ?
JS : Handicapé tétraplégique suite à un très grave accident de la circulation en 1988, j'ai décidé de me consacrer à mes pairs afin qu'ils puissent avoir des droits et vivre de façon autonome en pleine mixité. Je suis l'un des rares élus en fauteuil en France. Alors, en effet, je me suis impliqué dans de nombreux domaines, commissions et associations… Je suis, notamment, vice-président national co-fondateur et administrateur de l'association Tourisme & Handicaps depuis 2001. Je gère même un camping labélisé. Mais je suis surtout, depuis 2008, adjoint au maire de Bordeaux en charge des personnes en situation de handicap.
H.fr : Bordeaux n'a pas été choisie par hasard pour ces Abilympics. En termes d'implication en faveur des personnes handicapées, diriez-vous que votre ville a une longueur d'avance, notamment dans le domaine de l'emploi ?
JS : Oui, lorsque je suis arrivé à la mairie en 2008, le taux d'emploi de personnes handicapées dans ses services était de 3,46%. Fin 2015, il s'élève à 8,2%. Chaque année, en novembre, nous organisons un forum emploi et handicap qui reçoit 1 800 candidats, avec 50 grandes entreprises et administrations qui offrent des CDI.
H.fr : Et du côté de l'accessibilité de la ville ?
JS : A mon arrivée, j'ai monté une commission communale d'accessibilité. Elle a passé au crible les 259 ERP (Etablissements recevant du public) publics. Pour la mise en accessibilité, il fallait investir 35 millions d'euros, ce qui imposait de multiplier les impôts locaux par 10. Alors nous avons fait le bilan de ce que nous devions prioriser…
H.fr : Quelles étaient ces priorités ?
JS : Tout d'abord les écoles, puis les bâtiments administratifs. En 3e place, les bâtiments culturels, puis les enceintes sportives et enfin les lieux de culte. Nous investissons ainsi 2 millions d'euros par an, et cela avance vite puisqu'une très grande partie des équipements est désormais accessible. Les personnes handicapées se disent satisfaites car, par le biais de cette commission, elles ont pu être associées à tous les projets.
H.fr : Mais cette implication impacte-t-elle l'ensemble de la ville ?
JS : Oui, bien sûr. Depuis 2011, nous avons mis en place une charte « ville et handicap » en lien avec les associations de personnes handicapées, sorte de code de bonne conduite. Mais elle n'est pas figée et doit vivre ; c'est pourquoi elle est revue tous les deux ans. Nous dressons alors un bilan de ce qu'il ne faut pas refaire. Nous mettons en œuvre onze tables de travail sur ce sujet, avec la collaboration de techniciens et d'architectes qui doivent faire un compte rendu au maire de Bordeaux.
H.fr : Comment est né ce dispositif ?
JS : En 2000, j'étais président du GIHP (Groupement pour l'insertion des personnes handicapées) Aquitaine et je suis allé voir le maire de Bordeaux, Alain Juppé, en lui demandant « Pourquoi est-ce qu'on ne travaillerait pas ensemble. » C'est de là que c'est parti… On a commencé par le tramway. 50 km aujourd'hui, tout accessible, avec des quais à bonne hauteur, un espace suffisamment vaste pour les fauteuils roulants, un bouton spécial pour avertir le conducteur et laisser le temps de descendre ! Tous nos bus sont également accessibles grâce à un système de palettes.
H.fr : On peut donc voyager aisément dans tout le grand Bordeaux lorsqu'on est à mobilité réduite ?
JS : Oui, c'est le principe d'intermodalité qui permet de prendre le bus, le tram et même le bateau. Il existe également un service, Mobibus, de transport à la demande pour les usagers plus lourdement handicapés.
H.fr : Le classement du centre historique au Patrimoine de l'Unesco en 2007 a-t-il eu un impact sur cette politique ?
JS : Oui, très positif. A la place du Miroir d'eau, il y avait des vieux bâtiments et des hangars. La ville a rénové cette magnifique façade fluviale historique sur 4,5 km, du pont Saint-Jean au pont Chaban-Delmas. Tout ce parcours est labélisé Tourisme et handicaps mais il en existe trois autres, très carrossables, celui de l'Unesco, celui vers le jardin botanique et celui vers les ruines du Palais Gallien.
H.fr : Les touristes en situation de handicap ont donc un vaste choix ?
JS : Ils trouveront un guide à l'office du tourisme qui recense tous les sites ayant le label Tourisme et handicaps, ainsi qu'une carte avec un itinéraire de visite adapté. Un site (en lien ci-dessous) recense également toutes ces infos, y compris les transports et les services. Il y a, par ailleurs, au sein de l'office, un référent handicap qui forme le personnel à l'accueil des visiteurs handicapés ; il s'appelle Edouard.
H.fr : Combien y-a-t-il de sites labélisés TH à Bordeaux ?
50 pour le moment mais nous nous engageons à en labéliser 10 de plus chaque année. Parmi eux, la Cité du Vin, qui doit ouvrir en juin 2016.
H.fr : Menez-vous également des actions pour sensibiliser les commerçants ?
JS : Oui, de fréquentes campagnes. Dans la rue Sainte-Catherine, la plus longue artère commerçante de France, sur près de 2 km, 50% des commerces sont accessibles, même si, parfois, une rampe doit être déployée à la demande.
H.fr : Dans le centre historique, vous avez banni les trottoirs…
JS : Bordeaux Métropole, ce sont 2 700 km de voiries sur 28 communes. Et deux trottoirs à chaque fois ! Cela représente un budget de 2 milliards d'euros pour leur mise en accessibilité. C'est énorme. Alors la métropole a en effet choisi une autre option, notamment dans le centre historique : plus de trottoirs et une chaussée partagée entre tous ceux qui « roulent », rollers, vélos, camions, poussettes et fauteuils roulants.
H.fr : Pour les personnes déficientes visuelles, la ville propose un système inédit…
JS : Oui, c'est expérimental, une télécommande pour pouvoir traverser sur les passages protégés équipés d'un feu qui annonce s'il est vert ou rouge. 96% des Bordelais concernés en sont équipés.
H.fr : C'est également la seule ville qui a reçu le label « Destination pour tous ». De quoi s'agit-il ?
JS : Oui, pour le handicap moteur et mental, depuis 2014. Le concept, mis en place par l'association Tourisme et handicaps, c'est de rassembler des sites labélisés sur un petit territoire pour proposer des séjours adaptés, et surtout concentrés, avec des offres d'hébergement, de restauration, des activités, des visites. La Direction générale des entreprises se sert un peu de moi et de Bordeaux comme VRP ; les villes de Paris, Lourdes, Amiens, Montpellier me sollicitent actuellement. Il y a en effet peu de villes qui ont autant de sites labélisés, contrairement aux départements.
H.fr : Vivre à Bordeaux lorsqu'on est en situation de handicap, c'est donc plutôt une bonne option ?
JS : Les personnes handicapées qui y habitent disent que c'est une ville facile à vivre. Et c'est vrai qu'on en voit beaucoup dans nos rues. Certaines décident même de venir s'y installer pour pouvoir profiter des commodités proposées, d'autant que nous avons un grand nombre d'hôpitaux très réputés. Le CHR de Bordeaux emploie plus de 15 000 salariés.