CAA, c'est son nom de code. Pour Communication alternative et améliorée. Elle englobe une série d'outils et de stratégies qui permettent aux personnes privées de parole ou ayant des difficultés de compréhension de mieux s'exprimer. Le champ est vaste : gestes, logiciels, pictos, synthèses vocales, eye tracker… Objectif ? Participer de façon effective aux actions qui les concernent. Après évaluation de leur besoins, elles ont été dotées de kits individuels dont se sont saisis les professionnels qui les accompagnent.
Quel bilan ?
Cette démarche également appelée « Communiquons autrement » a été lancée en 2016 par la Croix-Rouge française dans ses 60 établissements et services « handicap » avec l'objectif de combler le retard français dans ce domaine (article en lien ci-dessous). Le 12 avril 2021, elle dresse le bilan à l'occasion de la restitution de la mesure d'impact menée en 2020 auprès de 249 professionnels et une dizaine d'aidants (dossier complet en lien ci-dessous). 112 kits ont été délivrés, 330 professionnels formés et 2 000 personnes touchées (60 % d'enfants et 40 % d'adultes). Comment les usagers se sont-ils approprié ces outils ? Ces nouveaux moyens d'expression ont-ils eu un impact positif sur leur qualité de vie ? Les professionnels qui les accompagnent connaissent-ils suffisamment ces dispositifs ? Et les aidants ? Les résultats sont jugés « très encourageants ».
Des usagers plus autonomes
Pour les personnes en situation de handicap, de nombreux bénéfices sont constatés : réduction du stress, augmentation du plaisir et de la sérénité, amélioration de la santé et de l'autonomie, parce qu'elles ont désormais la possibilité d'exprimer leurs choix. Les usagers sont davantage en mesure de comprendre leur quotidien, d'anticiper les activités qui rythment leur journée, de se réjouir des événements à venir : anniversaires, visite d'un proche, loisirs... De dire « non », aussi. Selon la Croix-Rouge, c'est surtout un « formidable levier de confiance en soi ». La personne peut s'affirmer, reprendre le goût de l'échange, choisir un sujet de conversation et pourquoi pas un cadeau pour un ami sur le web... Le lien social se renforce, y compris avec les proches, par exemple via l'utilisation d'une tablette. L'impact est aussi manifeste sur la santé, ces outils permettant d'exprimer les besoins primaires (boire, dormir, manger…) mais aussi de verbaliser des troubles somatiques ou des douleurs.
Des pros plus confiants
Du côté des professionnels, « la CAA a permis massivement, à 80 %, de découvrir des compétences qu'ils ne soupçonnaient pas chez les personnes accompagnées, la plupart les considérant, à tort, comme non communicantes, se félicite la Croix-Rouge française. Cela a eu pour effet de briser la fatalité et de les remettre sur le chemin des apprentissages ». Certains ont également pris conscience qu'ils imposaient des actes à leurs usagers contre leur gré, ce qui a permis d'instaurer des relations rééquilibrées, plus stables, plus sereines, percevant mieux leurs souffrances psychiques et physiques. Des bénéfices sont également apparus sur le plan personnel, les professionnels se disant « plus apaisés dans leur environnement de travail, plus autonomes dans leur accompagnement et plus utiles ». Presque à l'unanimité (90 %), ils considèrent que ce projet devrait être « prioritaire » dans leur établissement.
Des freins persistants
Dans ce bilan plutôt rose, des freins persistent néanmoins, surtout d'ordre technique. Ils sont liés par exemple au changement d'établissement, notamment au passage à l'âge adulte, entraînant une rupture dans l'apprentissage, à certaines réticences des soignants à entrer dans cette démarche, au turn-over important dans les institutions... 78 % des professionnels, surtout chez les 55 ans et plus, moins adeptes des nouvelles technologies, déplorent par ailleurs le manque de temps pour s'atteler au sujet, et 65 % une formation insuffisante aux outils. Un seul établissement de la Croix-Rouge bénéficie d'une personne à temps plein dédiée à la CAA. Mêmes réserves du côté des proches qui peinent parfois à s'approprier certains matériels : « trop complexes », « pas le temps » ! « Même si la CAA se démocratise, certaines familles se sentent toujours dépassées », admet la Croix-Rouge, d'autant que la communication entre l'établissement et les aidants est parfois encore « insuffisante ». « Or sans support de la famille, la capacité à mettre en place des échanges quotidiens est remise en cause », ajoute-t-elle. Pour y remédier, l'un des établissements a initié une journée découverte de la CAA, à laquelle sont conviés les proches. Depuis 2017, d'autres initiatives ont émergé pour mieux les impliquer. « Certains sont très réticents, d'autres en demande, explique Aude Bertrand, référente CAA dans l'établissement pour personnes polyhandicapées Clairefontaine, en Ile-de-France. Nous les mettons alors en réseau pour qu'ils puissent échanger les bonnes pratiques. » Dernier frein, un reste à charge parfois important pour l'acquisition du matériel au domicile.
Des progrès attendus
Un « passeport compétences » a été créé pour assurer le suivi de la mise en place de la CAA, qui rassemble l'ensemble des éléments du parcours de l'usager : ce qui fonctionne ou pas, les logiciels proposés, l'installation physique pour un usage tout confort… « Des progrès doivent encore être réalisés », consent la Croix-Rouge qui entend désormais partager ses préconisations pour améliorer l'accès et l'usage de la CAA. L'étude propose ainsi des axes d'amélioration très concrets pour lever les réticences des professionnels et renforcer le lien avec les proches afin de « créer un socle commun solide ». Reste le problème du financement car très peu d'aides à la communication figurent sur la LPPR (Liste des produits et prestations remboursables par l'Assurance Maladie). « On a besoin d'une vraie révolution pour prendre en compte ces innovations qui bousculent les lignes », encourage Philippe Denormandie, co-auteur d'un rapport sur les aides techniques qui comprend des axes de réflexion dans ce domaine, ajoutant qu'avec « l'apport du digital, ces aides peuvent être remarquables ». Certaines peuvent néanmoins être financées, parfois seulement en partie, via la PCH (Prestation de compensation du handicap) (article en lien ci-dessous). « Donner à chacun la possibilité de s'exprimer est un vrai choix sociétal, pas encore assez traité », conclut-il.