Handicap.fr : Le 23 décembre 2024, trois mois après votre première nomination, vous avez été nommée ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée de l'Autonomie et du Handicap. Qu'est-ce qu'implique l'élargissement de votre portefeuille ?
Charlotte Parmentier-Lecocq : Je tiens d'abord à dire que je suis très heureuse et honorée de poursuivre ma mission sur le champ du handicap car elle me tient beaucoup à cœur. J'avoue qu'il est frustrant, après trois mois d'exercice, de devoir mettre en pause tous nos projets, censure oblige... Je suis aussi très satisfaite de l'élargissement de mon périmètre ministériel car il y a des ponts assez évidents entre « handicap » et « autonomie ». Le sujet de l'accessibilité, par exemple, amène à avoir une réflexion plus universelle et entre souvent dans la même logique, la même mécanique, aussi bien pour les personnes âgées qu'handicapées.
H.fr : Comment garantir que les spécificités des personnes handicapées soient bien prises en compte ? Lors de la composition du gouvernement, de nombreuses familles concernées et associations craignaient d'être noyées dans un ministère « trop large », qui n'auraient ni le temps ni les moyens de tenir compte de leurs besoins propres.
CPL : Je serai très vigilante à garder un prisme spécifique pour les personnes handicapées. L'enjeu, quand on parle de « transformation de l'offre », est de pouvoir répondre à leur projet de vie et cela nécessite un soutien adapté à leurs propres besoins, notamment en matière de scolarité et d'emploi. Par ailleurs, le handicap est un sujet interministériel donc je serai amenée à travailler de concert avec mes collègues du gouvernement pour que le handicap soit intégré dans toutes les politiques publiques. Je n'oublie pas non plus les aidants. L'enjeu est d'amener la société à regarder les vulnérabilités de façon sereine, ouverte et positive.
H.fr : Deux gros dossiers sont particulièrement incontournables cette année, à commencer par le remboursement intégral des fauteuils roulants (Fauteuils roulants : un remboursement intégral... bientôt). Où en est-on et que comptez-vous mettre en place pour assurer l'application de cette mesure, déjà promise par Emmanuel Macron lors de la Conférence nationale du handicap (CNH) de 2023 ?
CPL : Cette promesse présidentielle a ensuite été portée et reprise par tous les ministres en charge du Handicap. Dès ma nomination, j'ai immédiatement repris les travaux entrepris par ma prédécesseure, Fadila Khattabi, afin d'accélérer les choses. Mon objectif est d'établir un schéma de remboursement des fauteuils dans les prochaines semaines afin que la mesure soit effective dès la fin de l'année. J'ai mis une pression dans le tube car il y a déjà eu des délais très longs, qui s'expliquent, toutefois, car cela nécessite des négociations entre les fabricants, les distributeurs, les associations... La censure a mis ce projet en stand-by, ça s'est vraiment joué à quelques jours mais, moi, j'étais prête ! Le schéma, modulo quelques dispositions, est prêt, les négociations ont très bien mûri et il ne reste que quelques détails à régler. Le but est de faire en sorte que les fauteuils présents sur le marché trouvent leur place dans ce dispositif de remboursement, sans oublier ceux qui sont reconditionnés.
H.fr : Autre dossier brûlant : la loi du 11 février 2005, qui 20 ans plus tard, n'est toujours pas effective sur bien des plans. Le Collectif handicaps, qui regroupe 54 associations, publiait il y a quelques jours son « bilan » (Loi de 2005 toujours pas appliquée : place à l'action!). Qu'en avez-vous tiré, retenu ?
CPL : J'entends complètement la colère provoquée par le fait que cette loi ne soit pas encore pleinement appliquée, alors que l'on a donné et redonné du temps pour permettre une mise en accessibilité totale. Je ressens moi-même cette colère et je pense qu'il faut s'en servir comme moteur pour transformer l'essai. Mais il faut aussi regarder tout le chemin parcouru car, en 20 ans, beaucoup de choses ont été faites. Maintenant, il faut probablement utiliser deux leviers : l'encouragement et le contrôle. Il faut montrer que de nombreuses solutions existent pour rendre son établissement ou son site web accessible, par exemple, que ce n'est pas insurmontable.
J'ai demandé à la DIA (Délégation interministérielle à l'accessibilité, ndlr) de travailler sur une boîte à outils, destinée aux collectivités territoriales, qui rassemble toutes les solutions d'accessibilité existantes. L'objectif est d'encourager les mairies et les intercommunalités à s'inspirer de ce qui se fait ailleurs, et donc de montrer que c'est possible. À l'aune des municipales de 2026, on prépare le terrain pour que cela mûrisse dans l'esprit des candidats et des élus afin qu'ils intègrent cette dimension dans leur projet politique.
H.fr : Le Collectif handicaps déplore notamment le manque d'accessibilité du cadre bâti, du numérique, des transports... Face à ce constat, il propose de sanctionner, par exemple, les ERP (établissements recevant du public) qui ne sont pas aux normes. Pourquoi est-ce si difficile à envisager ?
CPL : Moi je suis prête à envisager des sanctions, mais ma philosophie n'est pas totalement faite sur ce sujet. On ne peut effectivement pas accepter de rester dans ce « flottement », mais j'attends les conclusions des échanges du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), de l'Assemblée nationale, du Sénat, du CESE (Conseil économique, social et environnemental) à ce propos.
Le gros du travail consiste à faire le tri entre la mauvaise foi et ce qui relève des difficultés qu'il faut aider à lever. Le CNCPH appelait il y a quelques jours à faire « un Notre-Dame de l'accessibilité » (évoquant un plan qui s'achèverait en 2027 et fixerait des échéances précises pour les trois prochaines années, ndlr), cette réflexion est encore à ses débuts mais j'aime bien l'approche qui consiste à se dire que, face à un gros défi, on se fixe une échéance, on met le paquet et on y arrive.
H.fr : Parmi les 200 propositions du collectif figure également l'abrogation des barrières d'âge pour bénéficier de la Prestation de compensation du handicap (PCH), dans l'objectif de créer une prestation universelle d'autonomie. Y êtes-vous favorable ?
CPL : J'entends la revendication mais je trouve que ce n'est pas encore assez mûr... On a déjà assoupli les conditions d'obtention de la PCH. Par ailleurs, comme on le disait précédemment, le handicap et le grand âge nécessitent parfois des prises en charge sur-mesure, et je pense que c'est le cas pour cette prestation. Il y a beaucoup d'autres choses à faire avant de creuser cette question, selon moi.
H.fr : Lasses d'être « les grandes oubliées des politiques publiques », les personnes handicapées et les associations appellent à la mobilisation citoyenne le 10 février 2025, à Paris, pour « faire bouger la République » (20 ans de la loi handicap : appel à manifester le 10 février). L'enjeu est aussi de « mettre la pression au gouvernement » pour enfin permettre une effectivité des droits. Une réaction ?
CPL : Encore une fois, j'entends la colère et je trouve légitime de venir l'exprimer en manifestant. Notre société a besoin de cet électrochoc, dans la continuité de l'élan insufflé par les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
H.fr : De votre côté, comment allez-vous « célébrer » les 20 ans de cette loi pionnière ?
CPL : J'organise, le 11 février, un évènement anniversaire au Handilab : un pôle d'innovation unique dédié au handicap. J'ai choisi ce lieu car je veux que cet évènement soit tourné vers l'innovation et les solutions. L'idée est de montrer que le handicap va de pair avec cette notion d'avenir, de performance, d'IA (intelligence artificielle), et d'être dans un état d'esprit positif et prospectif. Au programme : des ateliers, des forums, la présentation d'outils pédagogiques, des témoignages inspirants... Je souhaite mettre en lumière ce que les personnes handicapées font et réalisent ! Je ne veux ni ignorer les défaillances ou la non-application de la loi à certains niveaux, ni voir exclusivement le verre à moitié vide, mais plutôt se dire : « Bon il faut qu'on accélère, comment on peut faire ? ».
H.fr : Quels sont les autres dossiers majeurs qui figurent sur votre feuille de route pour 2025, notamment en matière d'emploi ?
CPL : J'y travaille, de façon rapprochée avec ma collègue Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l'Emploi. Il s'agit à la fois de faire œuvrer ensemble nos administrations respectives, notamment sur la convergence des droits des personnes en situation de handicap avec le milieu ordinaire du monde du travail. Nous tenons à valoriser et à accompagner nos dispositifs en faveur de l'intégration mais aussi du maintien dans l'emploi, comme la formation, l'emploi accompagné, les entreprises adaptées, les référents handicap, la transformation des ESAT (Établissements et services d'accompagnement par le travail), le rapprochement de Cap emploi et de France Travail...
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Charlotte Parmentier: handicap, quels défis majeurs en 2025?
Quels défis majeurs attendent la ministre déléguée au Handicap et à l'Autonomie en 2025 ? Remboursement intégral des fauteuils roulants, 20 ans de la loi de 2005... Le point sur les dossiers "brûlants" avec Charlotte Parmentier-Lecocq.
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