« Oui, les jeunes en situation de handicap de plus de 16 ans peuvent être scolarisés ! », affirme Sophie Janois, avocate de Bastian, un jeune homme avec autisme qui s'est récemment vu privé de ce droit. Avant son seizième anniversaire, il était scolarisé quatre demi-journées par semaine : deux au sein de son institut médico-éducatif (IME) et deux autres dans une unité d'enseignement externalisée (UEE) du collège de Narbonne, où, de l'avis de tous, « il progressait et s'épanouissait ». Rappelons que ces unités sont rattachées aux IME avec des enseignants de l'Education nationale. En juin 2021, Bastian ayant dépassé l'âge de l'obligation scolaire, la direction de l'IME prend la décision « unilatérale » de réduire de moitié sa scolarisation et de le priver de ses temps de présence au collège, faisant valoir un « manque de moyens ». « C'est absolument scandaleux ! », s'insurge son enseignant, Olivier Paolini, qui a donné l'alerte. Sa famille a donc décidé d'assigner l'association gestionnaire de l'établissement médico-social, l'AFDAIM-ADAPEI11, en justice. Le verdict du tribunal de Narbonne est tombé le 3 février 2022.
Un droit fondamental jusqu'à 18 ans
Le juge rappelle, en préambule, que le droit à une scolarisation et à la formation sont des principes fondamentaux que « les autorités publiques, et notamment l'Etat, ainsi que les organismes chargés de les mettre en œuvre au quotidien, ont l'obligation d'assurer et, ce, sans discrimination ». En effet, « si l'obligation scolaire s'éteignait jusqu'à présent à l'âge de 16 ans -ce qui était une ineptie pour les jeunes en situation de handicap dont le rythme d'apprentissage est nécessairement plus long- l'obligation de formation est prolongée désormais jusqu'à 18 ans et n'exclut pas une scolarisation », précise maître Janois, en référence à la loi sur l'Ecole de la confiance de juillet 2019 (en lien ci-dessous).
Le Projet personnalisé de scolarité bafoué ?
A ce titre, en vertu de l'article L 246-1 du Code de l'action sociale et des familles, le jeune Bastian a droit à une prise en charge pluridisciplinaire et adaptée qui a d'ailleurs été notifiée par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de l'Aude via la mise en place d'un Projet personnalisé de scolarisation (PPS), qui définit le déroulement de la scolarité et les besoins spécifiques de l'élève. « Il appartient aux associations subventionnées et aux établissements considérés de mettre en adéquation les moyens nécessaires à l'intégralité du programme, conformes à leurs engagements et à leur mission », insiste le jugement du tribunal de Narbonne, dont Handicap.fr s'est procuré une copie. « L'AFDAIM-ADAPEI ne pouvait donc, en tout état de cause, s'affranchir par anticipation de son obligation légale ni de ses engagements opérationnels définis par le PPS », poursuit-il. Selon la Justice, le manque de moyens d'un établissement médico-social n'est donc pas de nature à justifier la déscolarisation d'un jeune au-delà de ses 16 ans.
Un risque de régression
Cette réduction à deux après-midis de cours par semaine est « notoirement insuffisante » et « fait courir un risque de régression » à Bastian, déplore le juge. « Il convient de rappeler que le programme de scolarisation, y compris en milieu ordinaire, n'est pas seulement essentiel pour les divers acquis mais aussi pour le développement des relations sociales et de l'apprentissage de l'autonomie », ajoute Olivier Paolini, coordonnateur pédagogique de l'UEE. Selon l'enseignant, avant d'intégrer cette unité, Bastian, autiste non verbal, présentait d'importants problèmes de comportements, ainsi que des difficultés sensorielles et de communication. « Ce dispositif a vraiment été bénéfique, lui permettant de partager des temps avec d'autres élèves, non handicapés, de s'ouvrir à eux et d'apprendre à respecter les horaires de classe et de récréation etc., se félicite-t-il. Ça a considérablement boosté sa capacité de concentration ; avant, il ne tenait pas une heure en classe, aujourd'hui il est bien plus autonome. » Or, depuis juin, Bastian n'a pas remis les pieds à l'école...
Retour au collège assorti de 7 000 euros de dommages et intérêts
« Cette situation a eu nécessairement des conséquences préjudiciables pour l'enfant alors que l'année scolaire est déjà bien engagée », conclut le juge qui ordonne le rétablissement de son ancien emploi du temps avec deux demi-journées au sein de l'UEE. Par ailleurs, l'IME a été condamné à verser la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice personnel causé aux parents et 4 000 euros pour celui de Bastian. Un jugement « exceptionnel », selon Sophie Janois, « à l'heure où l'inclusion des personnes en situation de handicap fait débat et où le fonctionnement des institutions médico-sociales accueillant un public vulnérable est remis en cause ». « On ne le sait que trop, les jeunes accueillis au sein des IME sont souvent exclus du système scolaire, voire ne bénéficient que de quelques heures de scolarisation au sein même de leur institution, n'ayant de fait aucune chance d'acquérir les prérequis pour une vie autonome », détaille l'avocate.
Briser l'omerta
En l'absence d'appel de cette décision de justice, Bastian, aujourd'hui âgé de 17 ans, retournera sur les bancs de l'école le 7 mars 2022. Quant à Olivier Paolini, lanceur d'alerte dans cette affaire qui, selon lui, « est loin d'être un cas isolé », il affirme avoir été « ostracisé », l'établissement lui ayant explicitement demandé de ne plus prendre part aux réunions pédagogiques. « J'ai longtemps été sommé de me taire mais, maintenant, ça suffit, je parle ! Les familles doivent être aidées », argue l'enseignant qui lance un appel à l'ensemble des professionnels qui travaillent auprès des personnes handicapées : « N'ayez pas peur de témoigner et de parler... pour que les enfants en situation de handicap aient les mêmes droits que les autres, pour mettre fin aux discriminations, aux maltraitances parfois et aux défaillances du secteur. Parlez ! »