6 500 euros en vins, tapenades et autres gourmandises pour remplir ses obligations d'emploi de travailleurs handicapés ? Elodie a bien failli tomber dans le panneau. Tout commence, pour cette directrice d'une PME qui a souhaité rester anonyme, par la réception d'un mail avec une adresse a priori « officielle ». Elle s'achève en effet par @doeth.info comme « déclaration obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés ». L'interlocuteur crée la confusion en se présentant comme « le délégué DOETH de (sa) région ».
Un service de l'Etat, vraiment ?
Ce courrier personnalisé la somme de régulariser son dossier qui n'est manifestement pas à jour. Au fait des démarches RSE, Elodie est dubitative mais, pensant avoir affaire à un service de l'Etat, répond, transmettant même des informations confidentielles sur sa société, notamment sur les payes. Et patatras ! On la rappelle dans la foulée, son interlocuteur prétextant qu'il est plus facile d'en parler de vive voix.
2e étape, l'EA entre en scène !
Et, là, le discours change de forme. DOETH s'est évaporé et c'est une entreprise adaptée de Seine-et-Marne qui prend le relais. Elodie doit faire des achats pour plusieurs milliers d'euros et fissa en plus ; il faut commander avant le 31 décembre, sinon ce sera une grosse amende. « Ce montant est celui demandé pour éliminer la sur-contribution de votre obligation d'emploi via la sous-traitance auprès du secteur adapté pendant quatre ans », précise l'EA.
Négo de marchand de tapis
Après marchandage de tapis, le montant est finalement réduit à… 6 500 euros. On lui déroule le catalogue. Des paniers garnis de « cadeaux gourmands ». C'est open bar ! « Chaque commande que vous passez chez nous vous offre une attestation d'exonération (…) en toute simplicité », précise le mail, jouant même sur la corde sensible : « En faisant appel à nos services, vous contribuez à la formation et à la valorisation des compétences de nos employés en situation de handicap, tout en soutenant leur maintien dans l'emploi ».
Grosse pression
« Un mode de calcul absurde et surtout une grosse pression qui relève du harcèlement, particulièrement anxiogène. De l'abus de confiance, de l'escroquerie », s'indigne la cheffe d'entreprise qui a fini par cesser de décrocher. Elle s'adresse alors à l'Urssaf qui lui confirme qu'on ne s'acquitte évidemment pas de son obligation de cette façon ! Seules l'Urssaf et la MSA sont habilitées à calculer ces effectifs à partir des déclarations mensuelles en DSN (déclaration sociale nominative).
Un système bien rodé
L'arnaque ne datant pas d'aujourd'hui, le système est bien rodé. Voilà des années que des margoulins ont flairé la bonne affaire. Handicap.fr dénonçait déjà ces pratiques en 2014 (Lire : Escroquerie à l'Agefiph, victimes de démarchages agressifs !). Sur son site, l'Agefiph (fonds dédié à l'emploi des travailleurs handicapés dans le privé) a même une rubrique dédiée. Elle y précise que « des entreprises assujetties à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés sont démarchées par des individus prétendument commerciaux de structures du secteur protégé (EA et Esat) ou salariés de l'Agefiph ».
Pignon sur rue
Ces sociétés sont « le plus souvent fictives ». Pourtant, celle qui a démarché Elodie existe bel et bien ; elle a pignon sur rue et figure même sur le site de l'Unea (Union nationale des entreprises adaptées) et du réseau Gesat qui rassemble les Esat. Pas un gage de fiabilité pour autant ! « Sur notre site apparaissent toutes les EA de France et DOM-TOM, avertit Sébastien Citerne, délégué général de l'Unea. En revanche, nos 'adhérents' sont précisés sur leur fiche. »
Signalement recommandé !
Tout est « inexact », prévient l'Agefiph : le montant de la contribution à verser, le mode de calcul. « Vous risquez d'être victime d'une escroquerie et de devoir, au surplus, régler l'intégralité de votre contribution à nos services », ajoute le fonds qui encourage les personnes confrontées à cette situation à la signaler en remplissant le formulaire en ligne, par téléphone (0 800 11 10 09 ), via le mail dédié ( doeth@agefiph.asso.fr ) ou en contactant ses agents pour des conseils vraiment personnalisés. Les services de la Direccte (directions régionales du travail) ou de la DGCCRF (répression des fraudes) peuvent également être alertés.
Le pompon !
Une histoire restera probablement dans les annales. 300 000 euros de fournitures de bureau et des kilomètres de papier hygiénique ! En 2020, la secrétaire de la Fédération départementale du Parti socialiste de Gironde se serait laissée abuser par des télévendeurs misant sur sa sensibilité pour la « cause des handicapés ».
Que faire en cas de suspicion ? Dans un second article, Handicap.fr a posé la question à deux experts, de l'Agefiph et de l'Unea. Leurs conseils, c'est par ici : Arnaque au travail protégé : que faire en cas de démarchage?