« Arrêter avec ces étiquettes, bordel ! Marre de vivre dans une société qui ne veut pas de nous alors que nous sommes une richesse », proteste Virginie Delalande, conférencière sourde, lors d'un webinaire consacré à la « représentativité des personnes singulières dans les sphères professionnelles, économiques ou encore politiques ». Organisé par l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP) à l'occasion de la Journée internationale du handicap du 3 décembre 2020, cet évènement a réuni anonymes et personnalités influentes. Objectif ? Inspirer, débattre, co-construire pour, à terme, parvenir à l'émancipation, la pleine participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Un droit fondamental qui, selon Michaël Jérémiasz, champion de tennis fauteuil, « n'avance pas assez vite ».
Absent des sphères médiatiques...
Un milliard. C'est le nombre total estimé de personnes handicapées, ce qui en fait la plus large minorité de la planète « tantôt oubliée, tantôt discriminée », déplore Matthieu Annereau, président de l'APHPP. Ce conseiller municipal de Saint-Herblain (Loire-Atlantique), lui-même aveugle, incite à l'émancipation et à « ouvrir les yeux de la population sur le handicap ». Une « minorité invisible » notamment dans les médias, pointe Michaël Jérémiasz. En effet, seules 0,7 % des personnes à l'écran sont perçues comme « handicapées », alors qu'elles représentent 20 % de la population générale, pointe le baromètre annuel du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) (article en lien ci-dessous). « Globalement, les personnes handicapées sont invitées sur les plateaux TV et mises en lumière à l'occasion de la Semaine européenne pour l'emploi (SEEPH), en novembre, et le 3 décembre à l'occasion de la Journée internationale dédiée. Mais le reste de l'année ? », observe Nicolas Karasiewicz, malvoyant, qui se définit comme un « éveilleur de consciences ».
... et politiques
« Invisibles » également dans la sphère politique... « Faut-il mettre en place une politique de quota ? », s'interroge Damien Abad (LR), navré d'être le seul député handicapé (article en lien ci-dessous) sur les 577 qui peuplent une Assemblée nationale, pour l'heure, « non représentative de la société française ». Selon lui, « la question mérite d'être posée » et pourrait permettre « d'impulser un mouvement », au Parlement notamment. En parallèle, il propose un « réflexe handicap » lors de l'élaboration de chaque loi pour favoriser une démarche réellement inclusive « à la racine ». « Les lois ne suivent pas suffisamment vite l'évolution de la société », plaide l'élu, déplorant « toujours un temps de retard ». En attendant, il incite les citoyens handicapés à « s'engager » et à faire tomber « barrières et obstacles ». « Le quota, un constat d'échec ! », réagit Michaël Jérémiasz, regrettant au passage, « une approche du handicap en fin de réflexion dans la composition des lois qui est dommageable ». La véritable question à se poser, selon lui ? « Dans quelle société avons-nous envie de vivre ensemble ? (…) De la pédagogie, j'en fais quotidiennement depuis 20 ans mais je ne devrais pas avoir à le faire, ni même à justifier ma situation », poursuit-il, déplorant le nombre de fois où l'on lui a demandé : « Que vous est-il arrivé ? ». Matthieu Annereau, quant à lui, souhaite « réformer le système » et réclame un « ministère au Handicap » à la place de l'actuel secrétariat d'Etat qui en est « chargé ». « C'est sémantique, cela symbolise le fait que nous sommes des 'charges' alors que nous promouvons notre émancipation dans tous les volets de la vie en société », précise-t-il.
Une image « floue » ?
Le problème, selon Philippe Croizon, aventurier quadri-amputé, c'est une image biaisée du handicap : « Notre société veut mettre en exergue un handicap positif, 'extraordinaire', comme lors des Jeux paralympiques, mais c'est contre-productif... De nombreuses personnes handicapées se disent, et je les comprends : 'Je ne suis pas Croizon, ni Théo Curin, ni même Virginie Delalande. J'essaye juste d'accéder à un emploi, de vivre du fruit de mon travail »... « D'avoir une vie affective, de pouvoir se déplacer et habiter où on le souhaite », reprend Michaël Jérémiasz qui affirme que « l'on ne s'identifie pas à un super héros ». « Des milliers de personnes handicapées réussissent et sont actrices de leur vie, c'est ce qu'il faut relater, de manière très large », ajoute-t-il, estimant que l'enjeu des personnalités handicapées est de parler et de « faire pour l'intérêt général ».
Tentatives d'instrumentalisation ?
Pour Josef Schovanec, philosophe avec autisme, « la responsabilité des personnes handicapées est de sensibiliser et d'apporter une vague de bien-être à ceux qui souffrent de la normalité ». Il juge toutefois « extrêmement fâcheux » qu'elles « soient bien souvent utilisées comme une plante verte décorative » et considère comme « inadmissible » leur « si forte exclusion de l'échelon politique et économique », faisant part de son « dégoût » face à « toutes les tentatives de les instrumentaliser ». Cette « manœuvre » atteint, selon lui, son « paroxysme » avec la version française du DuoDay (ndlr, qui vise à former un binôme composé d'une personne en situation de handicap et d'un salarié « valide » le temps d'une journée, article complet en lien ci-dessous), une « opération gouvernementale, très loin de l'initiative initiale irlandaise qui consistait à trouver un job en toute discrétion », estime-t-il.
« Inhanmployables » ?
Troisième constat : le handicap, « invisible » en emploi... Avis aux employeurs et autres décideurs ! « Soyez concrets, arrêtez de signer des chartes et privilégiez l'action aux mots, interpelle Virginie Delalande. Nous avons besoin de modèles de référence qui montrent que tout est possible. » « En 2020, les discours des entreprises qui disent 'on veut employer des travailleurs handicapés mais on ne sait pas faire', ne sont plus entendables », soutient Michaël Jérémiasz qui affirme la nécessité d'un « travail de sensibilisation profond ». Selon lui, « il faut être exigeant et pousser le gouvernement dans ses retranchements ». « C'est la seule manière d'interpeller l'opinion publique. Pas seulement le gouvernement mais aussi les chefs d'entreprise, les restaurateurs, les présidents d'association... », poursuit-il.
« Culturellement parlant, on a toujours caché le handicap, notamment durant les guerres. Les choses évoluent depuis la loi de 2005 sur l'égalité des chances mais il faut passer la seconde ! », conclut Philippe Croizon. Son rêve absolu ? Un présentateur du 20 heures « handi ». « Souvenez-vous, tout est possible ! », encourage cet optimiste invétéré.