Par Daphne Rousseau
En mars 2020, Corinne Benzekri, 51 ans, passait ses journées à appeler des ambulances pour les résidents du foyer pour personnes handicapées qu'elle dirige, touché par plusieurs cas de Covid. Et puis ce fut son tour. Son dernier souvenir : les urgences de l'hôpital Lariboisière à Paris et son "drôle" de réveil après 15 jours de coma, un trou de 1,5cm dans la gorge. "Je suis étonnée d'être en vie, j'ai l'impression d'être morte et qu'on m'a fait revenir", soufflait-elle, via une impressionnante canule insérée dans sa gorge, à l'équipe de l'AFP qui l'avait rencontrée. A l'époque, Corinne célébrait déjà ses premières victoires, comme pouvoir "parler", tenir son téléphone dans la main, et sa première gorgée d'eau minérale bue à la cuillère. Neuf mois plus tard, une boule d'énergie, maquillée et vêtue d'un élégant chemisier à jabot, ouvre la porte de son appartement de l'est parisien. "J'ai l'air en forme. Mais en fait à l'intérieur c'est le chaos."
Des étapes… et des régressions
"Ce qui est difficile, c'est qu'à chaque fois que je passe une étape, il y a des régressions après. Par exemple, un jour, j'arrive à faire trois pas d'affilée et, le lendemain, je me réveille et je suis comme paralysée pendant parfois des semaines", détaille-t-elle évoquant des "moments difficiles". La forme grave de Covid-19 qu'a contractée Mme Benzekri en mars, a ravagé son corps, des pieds à la tête, en passant par la peau et les cheveux ; et ses muscles, encore atrophiés, nécessitent jusqu'à quatre séances de kiné par semaine. Ses organes ont aussi été gravement touchés : le foie, un rein, et son système veineux. Son dernier bilan était "correct mais montre des lésions importantes", au niveau respiratoire, un coeur "très fragilisé" et surtout des difficultés de mobilité avec de la "lenteur" et des "douleurs lors des mouvements".
Une forme de "Covid long"
Pour Corinne Benzekri, comme pour des milliers de Français, particulièrement ceux passés par les soins en réanimation, le virus ravageur, a quitté l'organisme mais laissé un organisme atteint durablement, une forme de "Covid long". Long, mais jusqu'à quand ? Avec cette maladie, qu'elle a mis sept mois à faire reconnaître comme "maladie professionnelle", Mme Benzekri redoutait par-dessus tout de "perdre sa place dans la société", son travail, sa raison de vivre. Son premier retour en juillet sur son lieu de travail, lui a permis de passer un cap, dit-elle. "Quelques jours avant, quelque chose a basculé, le fait de pouvoir être debout, devant mes équipes, et de les saluer, c'était important pour moi (...) ça a été un tournant dans l'histoire de ma maladie, mon corps a pu passer à une autre étape." Depuis, elle a repris à mi-temps. Ce qui manque le plus à cette Parisienne qui travaillait sans compter ses heures, c'est son scooter, "depuis dix mois au garage", et une "forme d'insouciance" qu'elle a laissée à l'hôpital, où elle a passé deux mois avant de demander un retour anticipé à domicile pour entamer la rééducation dans un environnement plus familier.
"La bataille, c'est surtout les premiers mois, il faut être dans une rééducation intensive à un moment où le corps peut encore récupérer et ne pas repousser", assure-t-elle. Et pour les séquelles les plus invisibles, celles de la psyché, Corinne reconnaît sans vouloir s'attarder y "penser tous les jours". "Il y a aussi toutes ces visions d'horreur de ce qu'on a vécu à l'hôpital, qui vous hantent, la mort qui était là et qui a failli me prendre (...) C'est très dur d'être du côté des vivants, quand on a failli partir."