Handicap.fr : Le 20 mai 2025, vous avez été réélue à la tête du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Quelle a été votre première réaction à chaud ?
Marie-Amélie Le Fur : J'étais la seule candidate en lice donc, pour moi, c'était une sorte de vote de confiance de la part des membres de l'Assemblée générale, à savoir les fédérations du CPSF. Élue quasiment à l'unanimité, je suis touchée par la confiance pleine et entière qu'ils m'accordent et déterminée à poursuivre les ambitions engagées lors de mon précédent mandat.
H.fr : Quel bilan dressez-vous de votre premier mandat ?
MALF : Un bilan positif ! Ce mandat a permis un changement d'échelle du comité paralympique et du mouvement paralympique au sens large. Les objectifs que nous nous étions fixés, notamment pour les Jeux de Paris 2024, ont été atteints. La ferveur populaire et l'appropriation des Jeux paralympiques, ont même dépassé nos espérances, en témoignent les scènes de liesse cet été !
Il faut désormais collectivement entretenir cette dynamique parce que les réflexes reviennent très vite. La visibilité du parasport doit rester constante, comme elle l'était à l'approche des Jeux, d'autant plus que les Français ont compris et aimé l'émotion singulière de cet évènement.
H.fr : Qu'est-ce qui vous a motivée à poursuivre ce mandat ?
MALF : La volonté d'aller encore plus loin dans l'accès au sport des personnes en situation de handicap, en continuant l'évolution systémique engagée, qui passe notamment par la densification et la diversification de l'offre parasportive dans les territoires. C'est l'ambition du programme Club inclusif, qui, en un peu plus de deux ans, a formé plus de 2 200 clubs à l'accueil de ce public (3 000 clubs inclusifs pour booster le parasport).
Dans certains territoires, la pratique a ainsi évolué de 150 %. Mais si vous structurez l'offre, il faut aussi qu'en face les clubs aient du « répondant » avec une demande des personnes en situation de handicap. Un sujet très complexe car il existe encore une grande diversité de freins à la pratique parasportive, allant des préjugés et de l'autocensure, aux contraintes financières et matérielles, en passant par l'accompagnement humain, la mobilité... Face à ce constat, la mobilisation d'une grande diversité d'acteurs est essentielle. Au-delà du mouvement sportif, les acteurs des secteurs médical et paramédical doivent se faire le relais et « l'appui conseil » du parasport.
Il faut également un engagement notable de la part des collectivités pour que les politiques publiques du sport appréhendent mieux la singularité du handicap et du parasport. L'objectif de ce second mandat, c'est de poursuivre ces dialogues avec les acteurs locaux notamment, poursuivre cet élan inclusif et continuer à engager des actions concrètes.
H.fr : Quels sont les chantiers prioritaires pour les mois à venir ?
MALF : Je souhaiterais tout d'abord renforcer la place du sport à l'école pour les élèves en situation de handicap. Il est temps de poser un réel diagnostic et de mettre en place des cycles adaptés, qui permettent à ces enfants d'avoir un vrai processus d'apprentissage de l'EPS, comme c'est le cas pour les autres élèves, ce qui n'est pas encore une réalité pour beaucoup de situations de handicap, et notamment les plus sévères. Cela passe par la formation et la sensibilisation des professeurs d'EPS, un travail partenarial en plus grande proximité avec le mouvement sportif. Cela nécessite également un changement de paradigme sur la dispense sportive.
L'autre priorité, c'est de développer la pratique parasportive féminine. Il y a un enjeu sur le très haut niveau, la France étant l'un des plus mauvais élèves dans le top 10 du classement des nations aux Jeux paralympiques. Notre équipe de France est le reflet de ce qui se passe dans les territoires... Et c'est un vrai sujet parce que la pratique du parasport, avant d'être un enjeu compétitif, est avant tout un enjeu de socialisation, d'émancipation, un enjeu de santé publique. Donc il est essentiel que les femmes en situation de handicap trouvent une pratique sportive !
H.fr : J'imagine que les Jeux paralympiques d'hiver des Alpes françaises 2030 seront également au cœur de votre mandat...
MALF : Évidemment, et cela nous permettra de faire perdurer les enjeux de Paris 2024 (performance, développement de la pratique, plaidoyer de la personne en situation de handicap dans la société) mais avec deux nouveaux angles. Le premier, c'est l'accès à la pratique des sports de nature au sens large, qui reste difficilement appréhendé par les personnes en situation de handicap. Le deuxième, c'est l'accessibilité de la montagne quatre saisons, que l'on soit touriste ou résident. La France possède plusieurs stations « référentes », desquelles les villes hôtes des Jeux de 2030, notamment, peuvent tirer des bonnes pratiques.
H.fr : Vous dites souvent vouloir faire du parasport une priorité sportive et sociétale. Comment comptez-vous vous y prendre ?
MALF : Le parasport est un volet très social et sociétal du sport au sens large. C'est bien plus qu'un « spectacle » sportif, bien plus qu'une compétition individuelle. C'est une capacité à accompagner l'émancipation de notre société sur des enjeux de santé publique, de lien social, de lutte contre les discriminations. Il est temps d'en parler et de le valoriser – aussi bien sur le plan de la visibilité que du modèle économique – beaucoup plus !
Derrière toute cette offre sportive qui est en train de se structurer dans les territoires, il faut aussi qu'on trouve un modèle économique vertueux. Parce qu'accueillir des personnes handicapées peut parfois coûter plus cher (matériel spécifique, plus d'éducateurs, créneaux avec un nombre de personnes limité...). Cet engagement doit être encouragé, valorisé car, finalement, le club s'y retrouve vraiment sur la valeur sociétale qu'il met dans son action.
H.fr : Où en est l'inclusion du parasport au sein des fédérations dites « valides » ?
MALF : L'évolution est perceptible : en 2018, le comité paralympique comptait 25 fédérations membres, contre 48 en 2025, et bientôt cinquante. Elle se traduit aussi dans les gouvernances des fédérations, qui disposent généralement d'une commission parasport,. Dès 2019, nous avons constaté assez rapidement une volonté des clubs d'agir dans les territoires mais nuancé par le sentiment d'une incompétence et d'une crainte. C'est de là qu'est née la première version du Club inclusif, auparavant appelé « formation des clubs para accueillants », qui visait à déstigmatiser la peur d'accueillir, en présentant les grandes familles de handicap et en amenant les dirigeants, les bénévoles de clubs à rencontrer des personnes concernées.
H.fr : En tant qu'ancienne championne, comment percevez-vous l'évolution du statut des athlètes paralympiques ?
MALF : L'évolution a été considérable, tant dans leur visibilité que dans leur accompagnement. La couverture médiatique a été sans précédent durant les Jeux paralympiques,mais également en amont. Cette visibilité est essentielle pour les athlètes et la reconnaissance de leur parcours. Par ailleurs, les moyens destinés aux athlètes de haut niveau paralympiques ont connu une hausse notable ces dernières années, quadruplés en 4 ans, grâce au travail d'expertise mené par l'agence nationale du sport aux côtés des fédérations sportives.
H.fr : Pensez-vous que le regard de la société française sur le handicap évolue grâce aux parasports ?
MALF : J'en suis intimement convaincue, et c'est ce qui ressort des derniers Jeux paralympiques. Les Français ont découvert le handicap autrement, par le prisme de la performance sportive, du dépassement de soi, de la compétence, de la capacité, là où on a souvent tendance à réduire la personne à son handicap et à ce qu'elle ne peut pas/plus faire. Le parasport envoie un message très fort : dès l'instant où l'on adapte l'environnement, où l'on fait appel à un appui humain ou technologique et matériel, on permet aux personnes en situation de handicap de produire des performances extraordinaires. Et si c'est possible dans le champ du sport, ça l'est aussi dans d'autres domaines de la société.
Je suis également persuadée que pratiquer du sport ensemble crée la rencontre, crée moment de partage, et permet de lutter contre les stigmatisations. Demain, on va aller à l'école, faire du sport et travailler ensemble et ôter ces questionnements et cette peur encore présentes. Je ne dis pas que le sport est la réponse à tout mais je pense que c'est un levier très puissant.
H.fr : Un dernier mot pour les jeunes en situation de handicap qui hésitent encore à franchir la porte d'un club sportif ?
MALF : Je les invite tout d'abord à se tourner vers les outils qui leurs sont dédiés sur le site web du comité paralympique, à l'instar de "Trouve ton parasport" qui permet à chacun de trouver la discipline qui lui correspond, quel que soit le type de handicap. Osez franchir le pas, trouvez le sport qui résonne en vous !
© KMSP/CPSF
CPSF : Le Fur reconduite pour faire rayonner le parasport
Marie-Amélie Le Fur rempile pour un 2e mandat à la tête du Comité paralympique et sportif français. Plus de para sport féminin et de clubs accessibles, Jeux de 2030... L'ancienne championne de para athlétisme dévoile ses chantiers prioritaires.

"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"