Après avoir traversé la Manche et relié les cinq continents à la nage, Philippe Croizon retrouve la terre ferme pour un nouveau défi ; l'aventurier amputé des quatre membres prend, le 2 janvier 2017, le départ de l'édition 2017 du plus célèbre des rallye-raids, le Dakar. Excité comme un gamin à deux jours de l'échéance, il sillonnait le bivouac, sur une base aérienne militaire d'Asuncion (Paraguay), où les concurrents sont installés le temps de l'inspection de leurs véhicules. Et répondait avec enthousiasme aux sollicitations de la presse française, qui le réclame presque autant que Sébastien Loeb, pilote starifié après neuf titres de champion du monde des rallyes et candidat à la victoire finale.
Ce qu'il vit : du plus !
Philippe Croizon, 48 ans, saura lui se contenter de rallier Buenos Aires (Argentine) le 14 janvier, peu importe son classement. Ce serait déjà un bel exploit, après douze jours de course, dont près de la moitié à plus de 3 000 mètres d'altitude, en Bolivie. Une folie aussi pour "99% des gens", selon une estimation de l'intéressé. "Tout est possible ! C'est mon slogan", leur répond-il. "L'impossible, c'est juste une seule personne, c'est juste nous. Elles sont où nos limites ? Moi je trouve que je n'ai pas de limites. J'ai eu un accident (deux électrocutions, ndlr) le 5 mars 1994, tout ce que je vis aujourd'hui, c'est du plus !"
Comme un jeu vidéo
Point de masque ou de tuba donc pour ce nouveau défi au coeur du continent sud-américain, mais un buggy adapté. Sanglé dans le siège baquet réglementaire, les cuisses fixées dans un caisson en carbone, Philippe Croizon ne peut toucher ni le volant ni les pédales. Du bras gauche, il actionne un petit levier de vitesse placé près de la portière. Du droit, il conduit grâce à un joystick hydraulique : "Quand je vais vers l'avant, j'accélère, quand je vais vers l'arrière, je freine et je tourne en le dirigeant vers la droite et vers la gauche. C'est comme un jeu vidéo". A son copilote, Cédric Duplé, le démarrage de la voiture, les essuie-glaces…
Un numéro à suivre
S'il conduit différemment, Philippe Croizon ne bénéficie pas d'un véhicule plus sécurisé que ses concurrents. Pour obtenir sa licence de pilote, il a donc dû prouver qu'il était capable de s'extraire seul de l'habitacle en cas d'accident. Il avait 20 secondes, il en a mis 12, en "roulé-boulé". "J'ai regardé les inspecteurs et je leur ai dit avec ma petite pointe d'humour : 'Bon, ça me laisse le temps de faire le pare-brise et les niveaux !'", se souvient-il rigolard. En cas de pépin, casse, enlisement ou accident, la seconde voiture engagée par son équipe, celle de l'expérimenté Yves Tartarin (18 Dakar au compteur), ne sera tout de même jamais loin. L'organisation aussi aura un oeil sur le dossard 352. "Il va être inscrit dans les numéros à suivre", assure le directeur de la course, Etienne Lavigne.
Hypnose et cohérence cardiaque
Sur les 316 véhicules engagés, une quinzaine feront en effet l'objet d'un suivi particulier, parmi lesquels ceux des quatre autres pilotes handicapés moteurs en lice. La perspective des risques qui l'attendent ne semble en tout cas pas préoccuper plus que ça Philippe Croizon, qui chasse les inquiétudes grâce à l'hypnose et à des exercices de cohérence cardiaque, une forme de relaxation. Il est loin le trac de l'apprenti pilote de rallye, expérimenté lors des premières courses à l'été 2016. "Au début, il avait peur de rouler, d'aller vite, se souvient Cédric Duplé. Maintenant, c'est plus moi qui vais le freiner. Ca n'est pas trop mal ce qu'il fait, c'est même très bien." Démonstration dès le 2 janvier lors d'une première spéciale de 39 kilomètres.
Par Raphaëlle Peltier