L'affaire défrayait les « chroniques » depuis une semaine. Le 18 avril 2014, Libération s'en prend aux émissions culinaires que nous concocte la télé. Dans un édito particulièrement cinglant sur l'émission Top chef (M6), les journalistes, dénonçant le pathos de cette 5ème édition, ironisent sur l'un des épisodes où les candidats cuisinent pour les « chtits-nenfants-pauvres-qui-n'ont-jamais-vu-la-mer ». Avant de poursuivre avec un propos à l'emporte-pièce : « De quoi vous tirer le sanglot encore mieux qu'avec le manchot de 2010 ».
Du second degré dur à digérer
Le « manchot-cuisto » en question, c'est Grégory Cuilleron, candidat de l'édition 2010. « Manchot » parce qu'il est atteint d'une agénésie de naissance (un avant-bras un peu trop court) qui ne l'empêche pourtant pas de mitonner avec talent. Alors, évidemment, le jeune chef propriétaire d'un restaurant à Lyon, également ambassadeur de l'Agefiph (qui s'implique en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés), a eu du mal à digérer la pilule, même au nom du « second degré » et s'est aussitôt fendu d'un droit de réponse qu'il a demandé à Libé de publier. En voici quelques extraits...
Le droit de réponse de Grégory
« Il est des gens sur lesquels on se contrefiche de taper... Les personnes en situation de handicap en font malheureusement régulièrement partie. (...) Je suis le premier à me servir de quolibets en tous genres quant à ce bras un peu trop court qui a toujours fait partie de ma vie. (...) Ce qui me peine, dans cet article, c'est le manque de recul évident. Handicapé = pitié ? Il me semble pourtant que mon passage dans l'émission Top chef n'a pas été larmoyant. (...).
En tant qu'ambassadeur de l'Agefiph, je me bats tous les jours aux côtés de tous les acteurs du travail pour que les personnes un peu différentes puissent prouver qu'elles ont leur place dans la société et qu'elles sont utiles. (...) Malheureusement, la politique du bon mot l'a une fois de plus emporté sur le bon sens. (...) Alors si au lieu de stigmatiser le handicap, on s'interrogeait sur la normalité. Car, après tout, n'est-on pas tous l'anormal de quelqu'un ? ».
Le « Scandale des handicapés » à la une de Libé
En guise de « The End », Grégory se dit plutôt satisfait. Son droit de réponse est paru dans l'édition du 25 avril. Mais Libé, ne se débarrassant jamais de son aplomb légendaire, rajoute une dernière petite couche. Voici « sa réponse à la réponse » : « Qu'une simple phrase décrivant l'évolution du traitement à l'émotion de Top Chef par M6 suscite telle réponse nous étonne. Quant à l'emploi du terme « manchot » qui n'est pas péjoratif, s'il a pu blesser, nous en sommes désolés. Mais, si Grégory Cuilleron pense vraiment que M6 n'a pas joué la carte du pathos, là, c'est pour lui que nous sommes navrés. »
Ironie du sort, le même jour Libération inscrit sur sa une, avec photo pleine page : « France-Belgique Le scandale des handicapés », allusion à l'exode de nos ressortissants vers la Wallonie. Y-aurait-il, dans les colonnes du quotidien, des « handicapés » plus respectables que d'autres ?
Ce coup de gueule n'empêche pas Grégory de poursuivre sa route, plutôt joliment tracée. Il tourne actuellement la série documentaire « Cookin'the world », globe-trotteur gastronome parcourant la planète à la découverte des cuisines du monde.