Le secteur de la santé représente 8 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, dont environ la moitié provient des médicaments et des dispositifs médicaux, nécessaires pour de nombreuses personnes handicapées. The shift project, un « think tank* » engagé dans la transition énergétique, publie une étude qui met en lumière l'évaluation carbone des consommations françaises de cette industrie. Objectif ? Alerter et donner des pistes pour décarboner !
Médicaments : l'équivalent des émissions annuelles d'1 million de Français
Verdict ? Les émissions de gaz à effet de serre relatives à la production des médicaments sont estimées à 9,1 MtCO₂e en 2023. « C'est l'équivalent des émissions annuelles d'environ un million de français ou de celles engendrées par la production des deux millions de voitures thermiques achetées chaque année dans l'Hexagone », compare The shift project. Ces émissions sont dominées par la production des principes actifs (25 %), dont l'empreinte carbone moyenne est estimée à 65 kgCO₂e/kg, soit près de 105 fois plus que l'intensité carbone du ciment. En outre, 30 % des émissions proviennent des activités de R&D et corporatives des industries pharmaceutiques. Elles sont notamment liées aux essais cliniques, aux achats de biens et services, aux consommations énergétiques des bureaux, et aux déplacements professionnels des collaborateurs terrains (notamment pour les congrès médicaux).
Les matières premières sur le banc des accusés
Celles liées à la production des dispositifs médicaux atteignent 7,4 MtCO₂e, soit l'équivalent des émissions annuelles des habitants de Marseille. « Elles proviennent en grande partie de la production des matières premières mobilisées », explique l'association. Elle pointe tout d'abord l'utilisation du plastique, avec 200 000 tonnes par an, soit l'équivalent de la consommation annuelle de 2,8 millions de français. Mais également une grande quantité d'acier, d'aluminium, et de composants électroniques, ainsi que des procédés de transformation, qui représentent les émissions des sites de production. Les transports, la production des emballages, l'utilisation et la fin de vie représentent, quant à eux, des émissions « relativement plus faibles ». « Elles peuvent néanmoins être significatives pour certains produits », souligne The shift project, qui cite notamment la consommation électrique des équipements électro-médicaux ou le transport dans le cas du recours au fret aérien.
Une hausse des émissions à éviter
« Si rien n'est fait, les émissions annuelles des industries de santé risquent d'augmenter fortement », alerte-t-elle, notamment en raison de la consommation accrue de produits médicaux engendrée par le vieillissement de la population, l'augmentation des maladies chroniques, les conséquences du dérèglement climatique. Cette hausse pourrait également être due, selon elle, à l'évolution des produits proposés, à l'instar des biothérapies et des thérapies géniques, de la médecine personnalisée adaptée aux profils des patients ou encore de l'intégration du numérique dans les dispositifs médicaux. « Face au changement climatique et à la baisse de disponibilité des énergies fossiles, les industries de santé doivent donc réduire à la fois leurs émissions de gaz à effet de serre et leur dépendance au charbon, au pétrole et au gaz », affirme l'association. L'objectif ? Un potentiel de décarbonation à 2050 de 68 % pour les médicaments et de 72 % pour les dispositifs médicaux. « Non seulement c'est possible, mais le secteur en ressortira plus résilient et plus souverain », ajoute-t-elle.
Des leviers pour chaque maillon de la chaîne
Face à ce constat, comment agir ? « Pour être pleinement efficace, la décarbonation doit couvrir chaque maillon de la chaîne de valeur, de la production des matières premières à la logistique, en passant par l'énergie consommée et la gestion de la fin de vie », répond-elle. Elle doit donc impliquer différents leviers : pour décarboner les procédés de production (par exemple une électrification de la production de vapeur industrielle) ; pour décarboner la logistique (diminuer le recours au fret aérien pour l'importation des équipements d'imagerie) ; pour décarboner les essais cliniques, avec la réduction du gaspillage de médicaments et par une optimisation des cohortes, réduisant les visites et déplacements. The shift project mentionne aussi des leviers à mettre en place pendant l'usage des produits de santé (privilégier des instruments réutilisables à leurs équivalents jetables ou encore arrêter la distribution de protoxyde d'azote par les réseaux de l'hôpital). « En effet, 90 % du protoxyde d'azote distribué dans les réseaux fuit. Autrement dit, il faut en produire, et donc en relâcher, 10 fois plus que ce qui est consommé », précise-t-il.
Relocaliser une partie de la production en Europe
Le groupe de réflexion préconise également des pistes « transverses » pour faciliter cette démarche écologique, comme le fait d'engager les fournisseurs dans l'élaboration de stratégies de réduction de leurs émissions, sachant que « la décarbonation du secteur repose avant tout sur la mobilisation de ces derniers (chimie, plasturgie, métallurgie, textile, électronique, logistique, stérilisation ou mécanique) ». Elle exhorte également à relocaliser une partie de la production des produits de santé en Europe. Selon lui, les émissions seraient réduites de 50 % si elle était effectuée en France plutôt qu'en Chine, tandis qu'une production en Europe les diminuerait de 40 %. Autres recommandations : définir des critères carbone standardisés, consolider la recherche académique et impliquer tous les professionnels des industries. « Chaque fonction (production, achats, logistique, R&D, marketing) a un rôle à jouer ! », conclut The shift project.
* Groupe de réflexion émanant généralement d'institutions privées
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