Rouverture des externats : un déconfinement en mode dégradé

Depuis le début du déconfinement, les externats pour jeunes handicapés ont rouvert leurs portes, timidement... Mais, avec des mesures de prise en charge parfois drastiques, de nombreux parents sont oubliés. Pas de soulagement après 2 mois harassants

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Depuis le début du déconfinement, le 11 mai 2020, les externats du champ du handicap ont rouvert, lentement, doucement, en « mode dégradé ». Pas tout le monde, pas en même temps, pas tout le temps, avec de bonnes raisons et tant pis pour les proches à bout… Chams-Ddine Belkhayat, président de Bleu Network, constate que « beaucoup d'établissements n'ont pu rouvrir que partiellement et accueillent les cas les plus complexes mais de nombreuses familles très éprouvées par les neuf semaines de confinement sont épuisées et malheureusement sans solution d'accueil ». Pour ce papa d'un garçon autiste, il « est urgent d'adapter des protocoles trop restrictifs à l'heure actuelle afin de proposer des solutions à toutes ces familles à bout de souffle ».

Une reprise progressive

Danièle Langloys, présidente d'Autisme France, observe, elle aussi, que certains ont tardé à rouvrir car il fallait remettre en marche toute l'organisation. Le secrétariat d'Etat au Handicap avait en effet prévenu que « la reprise serait progressive et tiendrait compte des choix et des besoins des personnes et des familles, ainsi que des moyens internes, humains et des ressources locales (transport, configuration des locaux et espaces) ». Le gouvernement a pourtant assuré que « chaque personne handicapée et chaque famille doivent pouvoir choisir entre une reprise de l'accompagnement en structure d'accueil collectif et/ou un maintien (partiel ou total) de l'accompagnement à domicile ». Mais ce « choix » a-t-il réellement été possible ?

Des critères de sélection hétérogènes

Selon les établissements, différents critères ont permis d'opérer la « sélection », parfois de manière très hétérogène. Contrairement à Chams-Ddine, Danièle Langloys observe que « certains ont choisi de reprendre les enfants qui posent le moins de problème et seraient plus en mesure de s'adapter ». Anne Gautier, membre du Collectif Handi-actif France, mentionne d'autres critères mis en place au sein de l'IEM (institut d'éducation motrice) qui accueille son fils polyhandicapé de 13 ans : « Les rares places sont réservées aux parents qui travaillent, à ceux qui ont une voiture car le transport n'a pas repris et qui sont dispo pour déposer leur enfant entre 9h et 10h et venir le rechercher à 15h ». De très courtes journées au motif que le personnel doit ensuite désinfecter tous les locaux et les objets touchés par les jeunes. Selon elle, « difficile de concilier les trois conditions », le fils de l'une de ses amies a ainsi été « laissé sur le carreau » alors que les capacités permettaient sa réintégration. En effet, seulement quatre jeunes ont repris le 18 mai, date de sa rouverture, le chemin de l'établissement sur les 70 d'ordinaire accueillis. Depuis, les choses se sont un peu assouplies mais « tout est décidé à vue, selon les demandes des parents », ajoute-t-elle.  Dans l'IME de l'enfant de Bertrand, la mise en place rigoureuse des protocoles a engendré une rentrée de 60 jeunes sur 140. « Ils ne sont pas pris en charge contrairement à ce que madame la Ministre sous-entend lorsqu'elle évoque le confinement au passé », explique-t-il, décrivant une « situation tendue » lors d'une réunion avec la direction au grand complet, et attendant des « évolutions depuis une semaine ». 


Des familles prudentes

Bertrand assure que « des éducateurs ont eu peur de reprendre ». « De nombreux professionnels se montrent réticents au motif que les usagers ne seraient pas en mesure de respecter les gestes barrière, notamment le port du masque, ciblant majoritairement les autistes, alors que beaucoup sont capables d'apprendre et ont accepté cette contrainte », certifie la présidente d'Autisme France, même si elle admet que « pour certains ce n'est pas possible ». Par exemple, des Samsah (service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés) ont pris la précaution d'anticiper, en travaillant en amont sur ces précautions d'usage, tandis que des établissements ont dépêché des équipes mobiles dans les familles pour les familiariser mais « cette approche reste très inéquitable » sur tout le territoire, admet-elle.

Les réticences viennent parfois des familles, elles-mêmes qui, comme pour le retour à l'école, ne se sentent pas rassurées et refusent de remettre leur proche en collectivité. Anne Gautier constate néanmoins que « maintenant que certaines ont vu que cela se passait bien, elles souhaitent que leur enfant réintègre son centre ». La capacité de celui de son fils restera toutefois, jusqu'à nouvel ordre, divisée par deux. « La direction propose des roulements mais on ne nous prévient que quelques jours avant ». « Dans ces conditions, comment reprendre le travail sans être mis à l'index par son employeur ? », interroge-t-elle.

Un accompagnement au domicile ?

De son côté, le secrétariat d'Etat au Handicap assure que, pour « les familles faisant le choix de maintenir en confinement leur enfant », il convient de « prévoir une mobilisation renforcée des professionnels médico-sociaux pour assurer la continuité de l'accompagnement ». Il est notamment préconisé, si l'enfant n'a pu être priorisé pour un retour complet en externat alors qu'il est souhaité, de prévoir systématiquement un ou des temps d'évaluation sur site en cas de nécessité de recours à un plateau technique. Les externats doivent mobiliser, en fonction de leurs moyens, une partie de leur équipe d'accompagnement ainsi que l'ensemble des ressources disponibles sur le territoire (Sessad, Savs, Samsah, Saad) qu'ils coordonnent pour les appuyer dans leurs interventions à domicile. Aussi, l'accompagnement « hors les murs » est une solution alternative au maintien à domicile. Cette option individualisée ou en petit groupe, en séquentiel, ou sur les cinq jours de la semaine, peut favoriser le répit ou la reprise d'activité professionnelle des proches aidants sans nécessiter un retour au sein de l'établissement. Toutes les infos utiles sont regroupées dans une FAQ (foire aux questions) régulièrement mise à jour (article en lien ci-dessous) mais « la situation est inquiétante, assure Bertrand. Le ministère est probablement mal informé ».

Besoin de répit

Par ailleurs, que proposer à tous ces parents qui ont besoin de souffler après des mois éprouvants ? « Le développement de solutions de répit demeure une priorité de la stratégie de déconfinement », affirme le gouvernement, qui assure que « des solutions de relais des aidants à domicile peuvent être mises en place par les équipes des ESMS » (article en lien ci-dessous). Pourtant, selon Anne Gautier, « certaines familles sont dans des situations inextricables sans qu'on ne leur offre ni écoute, ni possibilité de se défendre. Les parents d'enfant handicapé ont grandement contribué à l'effort national. Or, ils n'ont bénéficié d'aucune mesure spécifique. » Un sondage mené au sein du collectif, auquel ont répondu 500 parents, révèle que 70 % d'entre eux se sont occupés de leur enfant en moyenne dix heures par jour, « se substituant à tous les professionnels de santé, pour certains appelés en renfort dans les hôpitaux ou dans les internats ». Des « forçats invisibles et épuisés », selon le collectif qui réclame, à ce titre, « une prime d'urgence de 1 500 euros », comme celle promise aux professionnels du médico-social (article en lien ci-dessous), ainsi que « des mesures urgentes de répit pour permettre à certains parents proches du burn-out de récupérer ». La deuxième phase du déconfinement annoncée le 2 juin par Edouard Philippe, qui laisse augurer une liberté retrouvée, va-t-elle permettre d'offrir un vrai bol d'air à ces familles ? Rien n'est moins sûr d'ici l'été…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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