C'est une révolution dans la chirurgie maxillo-faciale. Après trois années de travail acharné et six prototypes, le distracteur mandibulaire magnétique totalement internalisé voit le jour pour améliorer le confort des patients souffrant de malformations de la mâchoire inférieure, qui touchent notamment 200 000 enfants chaque année dans le monde. Nom de code ? Dogma.
Les dispositifs traditionnels, trop visibles, sujets aux moqueries
Certaines pathologies, telles que le syndrome de Pierre Robin, les malformations faciales congénitales, les fractures traumatiques complexes causées par des accidents de la route, les blessures de guerre ou encore les reconstructions post-cancer, nécessitent des interventions chirurgicales avancées pour allonger l'os de la mâchoire. Ces procédures, qui visent à restaurer des fonctions vitales comme la mastication et la respiration, reposent sur la technique de distraction ostéogénique (DO). Le hic ? Les dispositifs traditionnels utilisés, souvent dotés de tiges externes, peuvent entraîner risques d'infection, douleurs, cicatrices, sans parler de l'impact psychologique lié à la visibilité des tiges à travers la mâchoire. Les plus jeunes sont particulièrement exposés, avec des conséquences majeures sur la vie sociale : déscolarisation, moqueries, harcèlement, mal-être...
Un distracteur interne activé par des aimants
« Le distracteur Dogma vise à répondre aux défis esthétiques, médicaux et psychologiques, en offrant une alternative totalement internalisée et sans pièces mobiles inutiles, activée magnétiquement, et dotée d'un suivi intégré », expliquent ses concepteurs, Natacha Kadlub, chirurgienne maxillo-faciale à l'hôpital Necker (Paris), et Jean Boisson, enseignant-chercheur spécialisé en mécanique à l'ENSTA (Institut polytechnique, Paris). Concrètement, ce dispositif repose sur un aimant miniaturisé placé en interne, activé par un moteur externe ergonomique, permettant ainsi une activation plus précise et ajustable du processus de croissance osseuse.
Un pilotage plus fin et sur-mesure
Le patient, à l'aide d'un boîtier activateur, enclenche l'activation quotidienne, qui reste essentielle pour engendrer l'allongement osseux progressif. « Contrairement aux anciens dispositifs, où la rotation, mal contrôlée, se limitait à 1 mm par jour, ce nouveau système permet désormais de piloter finement l'amplitude des mouvements, offrant ainsi une plus grande flexibilité dans le processus de distraction osseuse », détaille Natacha Kadlub. L'enjeu ? Adapter le traitement de manière individuelle, avec des ajustements en cours de processus qui peuvent modifier la direction du transport osseux pour un résultat optimal sur chaque patient.
Un signal lumineux confirme la réussite de l'activation
« D'un point de vue de l'ergonomie patient, l'utilisation est simplifiée avec un signal lumineux pour confirmer la réussite de chaque activation et l'enregistrement des données pour l'aide au suivi du chirurgien », ajoutent les scientifiques. Après la phase d'activation (allongement journalier), celle de stabilisation (dispositif en place mais sans activation) varie de trois à six mois, selon les spécificités. « Des contrôles réguliers seront effectués tout au long du processus afin de garantir l'efficacité du traitement et d'assurer la sécurité des patients », assurent-ils.
Améliorer la qualité de dizaines de milliers d'européens
Chaque année, environ 500 000 interventions de chirurgie maxillo-faciale sont réalisées en Europe, près de 10 % impliquant des reconstructions osseuses complexes. À terme, ce dispositif devrait améliorer significativement la qualité de vie de ces patients, en optimisant les résultats chirurgicaux, en éliminant les complications majeures et en réduisant les délais de récupération.
Lauréat du prix de la Fondation des Gueules cassées
Initié en 2015 et soutenu par la Fondation des gueules cassées (FGC) depuis 2022 -à hauteur de 63 400 euros-, ce projet pionnier de recherche s'appuie sur la conjugaison de compétences médicales et biomécaniques de haut niveau. Pour toutes ces raisons, il a reçu, le 20 janvier 2025, le prix de la FGC 2024, qui soutient des initiatives permettant de « transformer concrètement » la vie des personnes touchées par des pathologies ou des traumatismes cranio-maxillo-faciaux. « Dogmacli a fait l'unanimité auprès du comité scientifique, contrairement à d'habitude, il n'a pas fallu des heures de discussion et des débats enflammés pour se mettre d'accord », sourit Olivier Longeron, président du comité scientifique de la Fondation, composé de 15 médecins experts (ORL, ophtalmologues, neurochirurgiens, biologistes, chirurgiens...). « Il nous a semblé légitime de mettre en valeur le binôme médecin-ingénieur au profit du patient », affirme-t-il lors de la cérémonie de remise de prix.
Adaptable sur d'autres parties de la face et du corps
Le dispositif est actuellement en cours de transfert industriel. Prochaine étape : obtenir une certification CE, qui atteste de la conformité du produit aux exigences européennes, avant d'entamer les essais cliniques prévus pour 2026-2027. Et après ? « Le potentiel du distracteur magnétique dépasse largement la distraction mandibulaire. En introduisant une méthode plus douce et adaptable à d'autres segments osseux, il ouvre la voie à une nouvelle génération de traitements médicaux. Des applications prometteuses sont envisagées dans la reconstruction d'autres parties du corps et de la face, notamment, pour l'avancée de la boîte crânienne qui peut nécessiter l'utilisation de plusieurs distracteurs simultanément », explique la FGC. Ces perspectives témoignent, selon elle, d'une « capacité d'adaptation remarquable, susceptible de transformer durablement la chirurgie réparatrice ».
© Fondation des gueules cassées