Dernière minute du 1er août 2020
L'Assemblée nationale a voté le 31 juillet 2020 au soir contre l'élargissement du diagnostic préimplantatoire à la recherche d'anomalies chromosomiques (DPI-A). En revanche, comme le Sénat, elle a voté en faveur de la technique du double diagnostic préimplantatoire (DPI-HLA) connue aussi sous le nom de "bébé médicament" (article en lien ci-dessous).
Article initial du 31 juillet 2020
Thème ultrasensible à l'Assemblée nationale qui débat, en deuxième lecture, depuis le 27 juillet 2020, du projet de loi relatif à la bioéthique. C'est le dernier de l'été qui s'achève dans un sprint à haut risque puisque 2 300 amendements sont au menu de cette semaine et les questions évoquées, particulièrement « délicates ». Au cœur des discussions, la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes (seules, homosexuelles…) mais également l'autorisation du don d'ovocytes dans un couple de femmes si l'une d'elles souffre d'infertilité (technique dite ROPA). C'est aussi le diagnostic préimplantatoire étendu aux embryons aneuploïdies (DPI-A) qui est discuté ; une mesure qui ne figurait pas dans le texte voté en première lecture en octobre 2019. Adopté en Commission spéciale, il doit maintenant être soumis au vote en séance de l'Assemblée nationale. Explications…
Le DPI-A, c'est quoi ?
Le diagnostic préimplantatoire (DPI), pratiqué dans cinq centres en France depuis 1999, est proposé aux quelques 200 ou 300 couples qui risquent de transmettre à leur enfant une maladie génétique d'une particulière gravité au moment où la démarche de PMA est lancée. « Mais, tel que pratiqué actuellement, le DPI ne vérifie pas si l'embryon a le bon nombre de chromosomes », expliquent les quatre corapporteurs du texte de loi, dont Jean-Louis Touraine (LREM), dans une tribune publiée le 27 juillet dans Le Monde. L'amendement du groupe Socialistes et Apparentés, originellement déposé par le député Philippe Berta, propose donc d'étendre le champ de ce diagnostic à la numération des autosomes, c'est-à-dire des chromosomes, à l'exclusion des chromosomes sexuels afin d'éviter tout risque de dérive discriminatoire. Les embryons porteurs, par exemple, de trisomies (il en existe plusieurs) pourraient ainsi être écartés lors d'une PMA. Il s'agit-là d'une expérimentation sur trois ans et non d'une généralisation.
Eradiquer la trisomie 21 ?
Certains dénoncent une tentative d'éradiquer, notamment, la trisomie 21. C'est contre ce principe que s'est insurgé dans l'hémicycle le député LR de l'Ain Damien Abad, lui-même en situation de handicap, demandant au Premier ministre Jean Castex le retrait de cet amendement portant sur une pratique jugée « particulièrement dangereuse et offensante pour les familles d'enfants atteints de trisomie ». Il a ajouté : « C'est faire un premier pas vers le tri des embryons. Vous ne pouvez pas jouer à la roulette russe avec les embryons et aux apprentis-sorciers sur des questions aussi fondamentales que la vie humaine ». « Si on va vers le DPI-A, collectivement, on accepte que toute notre société soit intolérante au handicap », juge de son côté Clotilde Noël, mère de neuf enfants, dont trois sont porteurs de handicap, dans une vidéo publiée sur Figaro.fr.
Un débat de fond
A travers le DPI-A, on aborde un sujet de fond, éminemment éthique et sociétal, qui est pourtant débattu en plein mois de juillet, devant un hémicycle presque vide. « Cette technologie s'inscrit dans une ambiance troublante, analysait déjà la Revue médicale suisse en 2011, à propos du DPI. Une société obsédée par le contrôle. Un regard sur toute chose, y compris sur les sujets humains, comme s'il s'agissait d'objets de consommation. Des rêves peu clarifiés d'amélioration et de perfection. » Emmanuel Laloux, président de l'association Down up, pointe, lui aussi, le danger d'une « normalisation des êtres », « à la limite de la dérive ». « La façon dont sont présentées les choses participent à la peur collective », selon lui, « même s'il reconnait que les « jeunes générations sont moins frileuses que la sienne sur ce sujet ». Il a discuté du DPI-A avec Eléonore, sa fille, une trentenaire dynamique et militante qui vient d'être élue au conseil municipal d'Arras (article en lien ci-dessous) ; porteuse de trisomie 21, elle se sent « offensée » par cette perspective.
Risque majeur de fausse couche
Les corapporteurs de ce texte récusent pourtant « tout eugénisme » et dénoncent une « polémique gonflée d'accusations aussi outrancières qu'erronées ». En effet, selon eux, « une mauvaise numération des autosomes, dite aneuploïdie autosomique, aboutit très majoritairement à des embryons non viables (…), expliquant une partie des échecs des FIV (fécondations in vitro) ». « La communauté médicale et scientifique nous a longuement alertés sur les souffrances que rencontrent certains couples, qui sont dans un processus de FIV long et difficile. Aujourd'hui, alors qu'ils ont accès au diagnostic préimplantatoire pour raison médicale (par exemple concernant la mutation mucoviscidose), des couples ont une chance sur deux de se voir implanter des embryons n'ayant pas le bon nombre de chromosomes, explique le député PS de l'Ardèche Hervé Saulignac, corapporteur du texte. Ce qui conduirait à une fausse couche, ou à une mortalité très précoce de leur enfant en cas de trisomie 13 ou 18 par exemple. » « Et, dans les rares cas où la grossesse est menée à son terme, l'enfant pourrait souffrir d'une pathologie génétique grave ouvrant la possibilité d'avortement thérapeutique », poursuivent les corapporteurs. Existerait-il une raison d'interdire le DPI-A alors que le diagnostic prénatal est, lui, autorisé et conduit, par exemple dans le cas de la trisomie 21, 96 % des couples en France à mettre fin à la grossesse ?
Un choix éclairé
Interrogée sur cette question, Trisomie 21 France, fédération apolitique et aconfessionnelle, dit avoir participé à ces travaux aux côtés de la Haute autorité de santé (HAS). Pour son président, Nathanael Raballand, papa d'un garçon trisomique, le plus important c'est que « les parents aient accès à un choix libre et éclairé ». Après tant d'années de parentalité, il dit « ne pas imaginer aujourd'hui que (son) fils ne soit pas né », mais consent que les couples « doivent pouvoir prendre leur décision en connaissance de cause, en percevant les risques et les chances, sans la pression des médecins pour leur dire d'abandonner et celles de certaines associations pour les inciter à garder l'enfant ». C'est l'objectif de cette fédération qui propose aux couples d'entrer en contact avec des familles concernées. Point de vue partagé par le député Saulignac : « Cet amendement vise à encadrer le recours aux seuls couples ayant aujourd'hui accès au diagnostic préimplantatoire, et que la liberté leur soit laissée, non seulement de décider ou non d'y avoir accès, mais des suites à en donner. » Il déplore une « campagne de désinformation sur les réseaux sociaux qui laisserait penser qu'une loi aurait été votée prévoyant un 'tri' des personnes trisomiques ». « C'est évidemment faux », s'insurge-t-il.
Quelle position du gouvernement ?
Les députés suivront-ils la position du gouvernement ? Quelle est-elle d'ailleurs ? Sophie cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, maman d'une jeune femme avec trisomie 21 mais, selon elle, « membre du gouvernement avant tout », dit « soutenir haut et fort la position qui a été rappelée par Jean Castex à l'Assemblée nationale », en réponse à la question de Damien Abad, et souhaite que le DPI ne soit « pas » élargi à la recherche d'anomalies chromosomiques. Cet amendement doit être discuté dans les heures qui viennent…