Par Aglaé Watrin
Dans les cuisines du Ritz, Michaël Garnier, atteint d'un handicap psychique, s'essaye sous le patronage du chef pâtissier François Perret à la finition d'un feuilleté caramel : ils sont l'un des quelque 12 000 binômes formés le 16 mai 2019 à l'occasion du "DuoDay", journée de sensibilisation à l'inclusion des personnes handicapées dans l'emploi.
"Mon rêve, c'est d'ouvrir un restaurant gourmand, de travailler des produits frais", confie à l'AFP Michaël, 29 ans, qui officie habituellement dans le centre de restauration d'un établissement et service d'aide par le travail (Esat), à Châtillon (Hauts-de-Seine). "Je n'aurais jamais imaginé travailler un jour au Ritz, je suis très content", ajoute-t-il. Le DuoDay, initiative née en Irlande en 2008 et reprise par plusieurs pays, consiste à composer un binôme entre une personne handicapée et un salarié ou un bénévole, pour lui faire découvrir son activité. Initiée en France dans le Lot-et-Garonne en 2016, l'opération se déploie cette année pour la deuxième fois à l'échelle nationale.
Rien en dehors des Esat ?
Dans le jardin de l'hôtel de luxe, Hichem Archouche, également atteint d'un handicap psychique, vient de terminer de dresser les tables qui accueilleront bientôt les premiers clients. "Ici il y a un peu plus le souci du détail. Il faut regarder si tout est symétrique, si tout est bien propre, si l'argenterie est bien faite", lui explique sa partenaire, Lou Perrin Szabo, responsable du Ritz Bar. "Pour moi, apprendre le service à notre nouvelle chef de rang ou à Hichem c'est exactement la même chose", assure-t-elle, heureuse de participer à l'opération pour promouvoir l'inclusion des personnes handicapées. Diplômé d'un CAP cuisine, Hichem, 26 ans, avait déjà réalisé un stage dans une brasserie et une cantine mais, comme Michaël, n'a jamais décroché de contrat de travail en dehors d'un Esat.
Handicap associé à l'incapacité
Malgré l'instauration d'une obligation d'emploi de 6% de personnes handicapées, sous peine de pénalités financières, ces dernières éprouvent toujours des difficultés d'insertion professionnelle. Plus de 500 000 personnes handicapées sont inscrites à Pôle emploi et leur taux de chômage est de 19%, deux fois supérieur à la moyenne nationale. "On associe trop handicap à incapacité ou incompétence", explique Dominique Le Douce, directeur des actions associatives de Ladapt. "On a encore du mal à se dire qu'une personne handicapée peut avoir des compétences et un projet professionnel ciblé", ajoute-t-il, relevant également un problème concernant un accès égal à la formation.
Focus sur l'apprentissage
"Entre 75%-80% des chômeurs handicapés ont un très faible niveau de qualification, essentiellement CAP - BEP et arrivent à peine au bac, et en face, on a des entreprises qui recrutent à bac +2", explique-t-il. Faute d'accompagnement personnalisé dans le cadre du CAP qu'il avait initié, Michaël a abandonné ses études, mais aimerait se lancer dans une formation en alternance. "C'est un axe fort pour nous de développer l'apprentissage", appuie Didier Eyssartier, le directeur général de l'Agefiph, fonds d'insertion pour les travailleurs. "On sait que c'est une modalité d'accès à l'emploi qui fonctionne mais il faut des dispositifs d'accompagnement des apprentis dans leur parcours", ajoute-t-il. "Toute personne peut apporter quelque chose à la pâtisserie et Michaël peut apporter sa vision" mais "il y a des exigences, c'est vrai, en terme de diplômes", reconnait son binôme François.
Vitesse supérieure
12 854 duos ont été constitués cette année, contre 4 000 en 2018. La secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, s'est félicitée d'une "réussite", aussi bien du côté employeurs publics - 3 700 duos au sein de la fonction publique selon le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) - que dans le secteur privé et au sein des PME. "Maintenant il faut passer à la vitesse supérieure", a-t-elle toutefois déclaré devant l'Assemblée nationale. Des duos ont également été formés sur les bancs de l'Assemblée nationale, au Sénat et dans de nombreux médias (article en lien ci-dessous). Sur Twitter, le mot-dièse #DuoDay2019 s'est hissé parmi les tendances de la journée, mais a aussi suscité des réactions négatives, certains internautes dénonçant une opération de communication.