« Ici, dans cette salle, on est tous différents. » Face à Sarah, oratrice avec trisomie 21, une assemblée attentive et silencieuse, en costume-cravate, réunie au Palais de l'Élysée. Ce 5 février 2025, six candidats en situation de handicap se sont succédés devant le pupitre habituellement occupé par le président de la République. Ils participaient au concours de l'Éloquence de la différence.
Oser parler !
Après une finale au mythique Grand Rex en 2023 (Bégaiement : un concours d'éloquence contre les préjugés), Mounah Bizri, bègue, a réussi à inviter son concept rue du Faubourg Saint-Honoré. « Quand Mouna m'a dit : 'je vais créer un concours d'éloquence sur le bégaiement, j'émettais déjà quelques réserves, et aujourd'hui on se retrouve au Palais de l'Élysée. C'est incroyable. On peut tous encore aller plus loin pour sensibiliser sur le handicap », affirme Stanislas Niox-Chateau, CEO et cofondateur de Doctolib, soutien de l'association Éloquence de la différence. « Mon bégaiement et mes différents handicaps ont été mes meilleurs apprentissages », poursuit de son côté Mounah, dont la vocation est aujourd'hui d'aider « toutes ces personnes avec un p'tit truc en plus à oser parler ». « Qu'on arrête de penser uniquement à la médicalisation, certes importante, mais qu'on crée des dispositifs pour que les personnes puissent être elles-mêmes au quotidien », souffle le jeune homme.
« La différence est-elle une force ? »
Qu'ils vivent avec un bégaiement, une trisomie 21, un trouble psychique, autistique, une surdité ou une déficience visuelle, les candidats au concours ont défendu leur univers en six minutes montre en main. « L'art peut-il révolutionner le monde ? », « Doit-on s'interdire d'être mère avec un handicap ? », « La fin justifie-t-elle les moyens ? », « Y a-t-il un frein à mon rêve d'être une artiste ? », « La différence est-elle une force ? »… Autant de questions philosophiques qui résonnaient fort sous les voutes de la salle des fêtes du Palais. L'une a défendu son droit à pouvoir devenir mère, par-delà son handicap ; l'autre à devenir une artiste « comme Soprano », prouvant au monde « qu'elle sait faire de grandes choses » ; quand une troisième a interrogé le « superpouvoir » de la marche au service de la santé mentale. « Pourquoi ne prescrit-on pas la marche en cas de trouble psychique ? », questionne ainsi Karine. Quelques messages semblent glissés ça et là face à des hommes et femmes de pouvoirs attentifs dans l'assemblée.
Des pointures dans le jury
Les candidats ont ensuite été évalués sur plusieurs critères : expressivité, authenticité, cohérence des arguments et du discours. Parmi le jury, des personnalités du monde des médias, de l'entreprenariat et du handicap, telles que Delphine Ernotte-Cunci (PDG de France Télévisions), Jérémy Boroy (président du CNCPH), Catherine Testa (fondatrice du site loptimisme.com) et Stanislas Niox-Château (Doctolib). Chaque orateur est reparti avec un prix spécial.
Un concours au Conseil d'État
A la veille du 20e anniversaire de la loi « handicap » de 2005, la tenue du concours dans ce lieu symbolique prend donc un tout autre sens. Preuve que le thème du handicap se diffuse progressivement dans les arcanes du pouvoir, c'est en réalité la deuxième fois qu'un concours de la sorte se tient au sein d'une institution. En décembre 2024, le Conseil d'État accueillait un évènement identique, organisé par Éloquence de la différence et Arpejeh (Eloquence: 13 jeunes handicapés discourent au Conseil d'Etat).
© Gilles Barbier