« C'est comme si j'étais morte. » Un soir d'août 2022, le corps d'Alexandra se refroidit brutalement et se pare d'une teinte bleuâtre. Soudain, elle ne le sent plus. Enceinte de quatre mois, elle craint pour la santé de son bébé. Est-ce un symptôme méconnu du Covid qu'elle a contracté quatre jours plus tôt ? Elle aurait préféré... Le Samu refuse de la prendre en charge, l'exhortant à « prendre un Doliprane ». Cette nuit-là, elle fut saisie par son premier malaise, prélude d'une longue et harassante série.
L'angoisse de perdre son bébé... et la vie
Certains durent 48 h, d'autres plusieurs semaines, durant lesquels les tremblements, les suées, les vertiges, les fourmillements et le froid s'emparent de son corps. « Quand ils commencent, je ne sais jamais quand ils vont finir. » Mais ses constantes sont « bonnes », poussant les médecins à minimiser la gravité de son état... Trois mois plus tard, la jeune femme de 30 ans fait une embolie pulmonaire « carabinée ». Elle suffoque. Quelques minutes après son arrivée aux urgences, accompagnée par son mari, trou noir. Arrêt cardiaque. « Je ne me souviens plus de rien. Tout ce que je sais c'est que j'ai failli y passer. » Un dilemme cornélien s'impose alors à son mari : « Doit-on garder bébé ou maman ? ». Le cauchemar recommence pour celui qui a récemment perdu sa fille de 21 ans d'un cancer... « Je refuse de choisir. Vous sauvez les deux ! », ordonne-t-il. Vingt minutes plus tard, délivrance. Alexandra se réveille au service réanimation, au sein duquel elle restera plusieurs jours. Sa fille, elle, voit le jour en janvier, et, « contre toute attente, elle va très bien ».
Deux ans d'errance médicale insoutenables
Acharnée et hardie, Alexandra tente de retravailler en tant qu'assistante maternelle à la fin de son congé maternité. Mais elle périclite, incapable de mettre un nom sur ce mal qui la ronge. Cette errance durera deux ans. Deux années insoutenables, rythmées par l'angoisse, la perte de certains amis, de son travail, mais aussi la perte de confiance en elle, en ce corps médical parfois négligeant, voire « condescendant », pointe Alexandra, faisant écho à cet infectiologue qui, après une IRM, lui lança : « Tout va bien, c'est dans votre tête, c'est un psy qu'il vous faut », et à ce neurologue qui a refusé de la voir, affirmant que « ces symptômes ne le concernaient pas ». C'est finalement un neurologue de la polyclinique de Poitiers qui pose le diagnostic, simplement sur la base du tableau clinique, « Covid long sur un tableau d'encéphalomyélite myalgique », plus de deux ans après l'apparition des premiers symptômes. Stade 3... sur 4.
L'encéphalomyélite myalgique, une maladie méconnue
« Mais qu'est-ce que ça veut dire ? », s'interroge alors la patiente. L'EM est une maladie chronique invalidante, classée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme maladie neurologique depuis 1969. Elle est souvent assimilée au syndrome de fatigue chronique (SFC), une appellation un brin « réductrice », selon l'association Millions missing France, qui agit dans de nombreux pays pour sa reconnaissance. Également connue sous le nom de maladie d'intolérance systémique à l'effort, ou syndrome post-viral, elle se caractérise principalement par des malaises post-effort, surnommés « crashs ». « Survenant après une infection virale (grippe, mononucléose, etc.), elle est de plus en plus répandue depuis la pandémie de Covid-19, précise Alexandra. 40 % des personnes atteintes d'un Covid sévère ont été touchées par l'EM. »
Une vie dictée par une vingtaine de symptômes
Pour confirmer le diagnostic, Alexandra passe des tests de mémoire. « Bilan catastrophique, avec des troubles cognitifs importants. » Elle est immédiatement prise en charge par un kinésithérapeute et un orthophoniste. Résultats peu concluants. Elle perd peu à peu en autonomie et en mobilité. Ses « crashs » sont de plus en plus longs – certains durent cinq heures, d'autres un mois –, intenses. L'EM gagne du terrain. « C'est simple, il n'y a plus rien qui fonctionne », déclare-t-elle, avant de lister sa vingtaine de symptômes : douleurs neuropathiques, troubles neurocognitifs, du sommeil, moteurs et de la perception, digestifs, tremblements, problèmes cardiovasculaires et respiratoires, intolérance orthostatique (apparition de symptômes en position debout en raison d'un apport sanguin insuffisant du cerveau et aux muscles : vertiges, nausées, palpitations, dyspnée...), syndrome de tachycardie, température corporelle instable (sueurs nocturnes, extrémités froides), hypersensibilité sensorielle... « Bref, il n'y a pas une journée où je suis tranquille », résume-t-elle.
« Dès que je me concentre, je fais un malaise »
20 symptômes mais 0 traitement – si ce n'est du Laroxyl (un antidépresseur), à faible dose, qui l'aide à s'endormir –, 0 prise en charge. « J'ai dû tout arrêter parce que, dès que je me concentre trop, que je fais le moindre effort physique ou mental, un malaise se déclenche. Écrire un mail, répondre à une interview, faire des courses, marcher... tout est compliqué ! » Alors elle passe le plus clair de son temps alité ou en fauteuil roulant. Un quotidien difficile à accepter pour cette maman, qui donne naissance à une seconde petite fille, semé d'angoisses, d'incertitude quant à son avenir, de colère face au manque de financements dédiés aux recherches sur l'EM...
L'écriture et les groupes de parole, de précieux refuges
Ces émotions, elle les couche sur papier, et trouve refuge dans l'écriture et les groupes de parole de l'association Millions missing France. « Échanger avec plus de 1 600 personnes qui ont les mêmes symptômes que moi m'aide à mieux accepter la maladie, assure-t-elle. Je me sens moins seule, on se soutient beaucoup. » Mais tous ne parviennent pas à rester aussi positifs qu'Alexandra et beaucoup évoquent des idées suicidaires. « À travers mes slams, j'essaye de leur montrer une image plus positive de la maladie et de leur donner de la force. Ça me permet aussi d'occuper mes journées parce que le temps paraît long quand on est allongé 20 heures sur 24. »
Le parcours du combattant administratif
Le reste du temps, ce sont les « innombrables démarches administratives » qui occupent ses journées. « Et encore, j'ai eu beaucoup de chance comparé à d'autres... », estime-t-elle. Il a tout d'abord fallu obtenir une prise en charge en affection de longue durée (ALD) auprès de l'Assurance maladie, permettant le financement à 100 % des soins liés à sa pathologie. Une mission particulièrement difficile dans le cadre d'une maladie méconnue... mais réussie ! Idem pour le dossier MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Mais, là encore, c'est une bonne surprise. « Je pensais vraiment galérer car l'EM ne figure pas dans la liste des pathologies reconnues par la MDPH mais, heureusement, je suis tombée sur un infirmier compatissant qui connaissait ma maladie et a transmis mon dossier en urgence. »
« Je vis dans l'angoisse d'une suspension de mes aides »
Près de six mois plus tard, Alexandra a finalement obtenu un Plan personnalisé de compensation (PPC), et attend une réponse à ses demandes de Prestation de compensation du handicap (PCH) et d'Allocation adulte handicapé (AAH). Fin du suspense courant avril... Normalement. En attendant, elle vit des indemnités journalières versées par l'Assurance maladie depuis l'arrêt de son travail en novembre 2023. « Mais je vis constamment dans l'angoisse d'une suspension de mes aides », exprime la trentenaire, se remémorant une convocation lors de laquelle elle avait réussi presque tous les tests, selon l'examinatrice remettant en cause son état de santé... à l'exception de quatre squats qui ont déclenché un malaise, lui permettant de conserver ses droits.
Un combat pour la reconnaissance
Aujourd'hui, Alexandra, tout comme Millions missing France, milite pour développer la connaissance de l'EM auprès du corps administratif mais aussi médical, « les professionnels de santé manquant cruellement de formation et d'informations ». Elles appellent également les pouvoirs publics à prendre « des engagements clairs, justes et justifiés pour les malades » et à développer des recherches sur cette pathologie qui impacte à la fois la vie sociale, personnelle et professionnelle. « Aux flashs infos, les crises, le chômage, les progrès de l'IA. Mais rien pour l'EM. (...) Ne pas craquer, couler, se fâcher. Découvre-toi pour mieux respirer. T'as le diagnostic, respire. Quand débute le combat, respire. Début des recherches, respire. Attente de traitement, j'espère », slame-t-elle.
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