La Fédération française de l'accessibilité (FFA) change de braquet. Créée en 2022, elle réunit les acteurs économiques qui imaginent et déploient des solutions pour rendre la société plus inclusive. Longtemps centrée sur la malentendance et la surdité (Téléphonie : Acces'Sourd lance une fédération pro), elle élargit désormais son champ d'action à toutes les formes de handicap : moteur, visuel, psychique, cognitif… Au-delà du soutien aux professionnels, elle entend devenir un interlocuteur clé des pouvoirs publics pour faire progresser la culture de l'accessibilité en France. Pour impulser ce tournant stratégique, la FFA a nommé, en septembre 2025, Emmanuel Perret, anthropologue de formation et spécialiste reconnu de l'inclusion, au poste de délégué général. Rencontre.
Handicap.fr : Concrètement, la Fédération française de l'accessibilité, c'est quoi ?
Emmanuel Perret : La FFA est une fédération professionnelle, comme celle du bâtiment ou de la banque, qui regroupe tous les acteurs qui conçoivent et mettent en œuvre des solutions d'accessibilité : entreprises, fabricants, prestataires de services… L'objectif n'est pas de remplacer les associations représentatives, qui ont un rôle essentiel, mais de structurer un secteur qui, jusque-là, n'était ni organisé ni coordonné. En coopérant plutôt qu'en restant en concurrence frontale, ces opérateurs peuvent mutualiser leurs savoir-faire, faire émerger des standards communs et in fine accélérer les progrès. L'enjeu est aussi de démontrer l'importance de l'accessibilité et de clarifier son utilité.
H.fr : Quel impact peut-elle avoir sur le quotidien des personnes en situation de handicap ?
EP : Cette synergie renforce l'efficacité des solutions. Quand des acteurs se rencontrent, ils comblent des angles morts, créent des passerelles et innovent ensemble. Nous voulons aussi montrer que l'inaccessibilité coûte, à terme, plus cher que l'accessibilité. Investir dans des solutions inclusives n'est pas une charge mais un levier social et économique. En effet, l'accessibilité est un secteur qui développe le tissu économique en France. Enfin, la FFA donne du poids collectif à des initiatives parfois isolées, ce qui facilite leur diffusion auprès du grand public et des décideurs, contribuant ainsi à améliorer le quotidien des personnes handicapées et de leurs proches.
H.fr : Quelle est votre mission en tant que délégué général ?
EP : Ouvrir grand les différents « collèges » de la FFA à toutes les formes de handicap et traiter des thèmes transversaux : accessibilité du bâti, des transports, du logement, de la culture, des soins, du numérique… L'idée est de décloisonner. Souvent, on pense que le numérique et le bâti n'ont rien en commun ; en réalité, il existe de nombreux enjeux partagés. La FFA doit être le lieu où ces univers dialoguent, un lieu de construction collective, et pas seulement une « chambre de représentation ».
H.fr : Comment comptez-vous convaincre de nouveaux partenaires de rejoindre l'aventure ?
EP : Par les rencontres. J'en fais déjà beaucoup et je constate un intérêt réel et croissant pour ces sujets. Les acteurs savent que l'accessibilité est devenue incontournable. Bien sûr, tout le monde ne rejoindra pas la fédération du jour au lendemain, mais progressivement, « le bateau » va se remplir. Ce qui est encourageant, c'est que l'accessibilité est perçue comme un levier d'avenir, surtout à une période où l'emploi des personnes handicapées stagne. Elle permet aux entreprises d'agir concrètement pour l'inclusion. C'est aussi l'esprit de la loi de 2005 : adapter l'environnement pour permettre à chacun de trouver sa place, sortir d'une vision médicale centrée sur la « déficience » et avancer vers une société plus inclusive.
H.fr : Vous êtes en quelques sortes le « chef d'orchestre » entre associations, pouvoirs publics et entreprises. Comment allez-vous créer ces passerelles ?
EP : C'est un rôle que je connais bien : tout au long de mon parcours, j'ai travaillé avec des institutions publiques, des associations et des entreprises. Ces univers fonctionnent souvent en vase clos, avec leurs propres codes et priorités, et ne se parlent pas assez. Mon travail consiste à favoriser le dialogue et à montrer ce que chacun peut apporter. Fédérer, c'est accepter la complexité. Cela implique de dissiper progressivement les tensions, d'organiser des événements communs, de créer des partenariats. Bien sûr, ce n'est pas toujours simple : chacun préfère rester dans son domaine de confort, les malentendus sont fréquents, et les logiques de concurrence persistent. Mais c'est précisément ce qui rend la mission intéressante !
J'aime ce rôle car il permet de transformer les oppositions en synergies. Et, pour réussir, il faut toujours partir de l'expertise du terrain, des acteurs qui conçoivent les solutions et des personnes handicapées qui en sont les premiers usagers. C'est en croisant ces regards que l'on peut bâtir une dynamique collective solide.
H.fr : À propos des personnes concernées, auront-elles leur place dans ces réflexions ?
EP : Bien sûr, elles ont un rôle central. Chaque collège pourra s'appuyer sur des comités d'usagers, des enquêtes et des retours d'expérience, pour co-construire et évaluer les solutions les plus utiles.
H.fr : Beaucoup d'entre elles dénoncent la lenteur de l'application de la loi de 2005. Comment la FFA peut-elle accélérer le passage des promesses aux actes ?
EP : Il est vrai que l'État produit de nombreuses réglementations mais il manque cruellement de moyens pour en contrôler l'application et accompagner leur mise en œuvre. C'est là que la FFA peut s'avérer utile. En rassemblant un écosystème puissant et informé, elle peut faire remonter les difficultés du terrain et proposer des solutions concrètes.
Notre ambition n'est pas de critiquer ce qui ne fonctionne pas mais d'apporter des pistes pour améliorer les choses. Cela passe par la professionnalisation des acteurs de la compensation : créer de vrais parcours de formation, structurer des « plans métiers » dans différents domaines (numérique, mobilité…) afin qu'il y ait davantage de professionnels qualifiés pour rendre effectives les conditions d'accessibilité.
La FFA a déjà montré qu'elle pouvait être force de proposition, par exemple en plaidant pour une TVA réduite sur les équipements de compensation. Ce type d'action concrète illustre notre rôle : impulser une dynamique, outiller le secteur et donner aux décideurs publics comme aux acteurs privés des solutions réalistes et applicables.
H.fr : Quelles sont, selon vous, les urgences absolues en matière d'accessibilité ?
EP : Il n'y a pas encore de « priorités » établies, cela va dépendre des opérateurs, et puis c'est difficile d'établir une hiérarchie. L'urgence, c'est le changement de réflexe. L'accessibilité doit être pensée en amont, partout. Aujourd'hui encore, elle est trop souvent perçue comme une contrainte réglementaire ou un surcoût. Elle doit devenir une évidence, intégrée dès la conception d'un service, d'un bâtiment ou d'un projet culturel.
H.fr : Qu'est-ce qui vous a personnellement motivé à accepter ce poste ?
EP : Mon parcours d'anthropologue m'a toujours donné le goût de créer des ponts entre des mondes qui se connaissent mal. C'est ce que j'ai fait avec l'entreprise Être, spécialisée dans l'inclusion des personnes handicapées, ou encore au sein du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) et du Club Être, où j'ai constaté à quel point le secteur avait besoin d'entités fédératrices pour avancer. Mon moteur a toujours été de faire comprendre ce qu'est réellement le handicap, plutôt que de le présenter uniquement comme un problème.
Par ailleurs, j'avais déjà eu l'occasion de rencontrer certains membres de la FFA il y a quelques années, lors d'un think tank sur le financement du handicap, lors duquel nous cherchions des solutions pérennes et collectives. Quand l'opportunité de rejoindre la fédération s'est présentée, c'était pour moi une évidence. C'est une aventure enthousiasmante, porteuse d'avenir. Je suis bien conscient que toutes les propositions que nous formulerons ne feront pas l'unanimité mais c'est le propre d'un espace de débat et de construction collective. Cela ne m'effraie pas, au contraire, c'est ce qui rend la mission stimulante et riche.
H.fr : Si vous deviez résumer votre feuille de route en une promesse simple ?
EP : Faire de l'accessibilité un réflexe universel et qu'elle soit perçue comme une condition de l'autonomie, de la mobilité et de la citoyenneté. L'idée est que chaque projet - qu'il soit numérique, architectural, culturel ou lié aux transports - intègre cette dimension dès le départ. L'accessibilité ne concerne pas uniquement les personnes handicapées, elle profite aussi aux familles, aux personnes âgées, à tous les usagers au quotidien. C'est ce changement de regard que je veux impulser : considérer l'accessibilité comme un investissement collectif qui améliore le quotidien de tous.
Retrouvez Emmanuel Perret dans "Emploi et handicap" : la nouvelle série vidéo by Handicap.fr pour tout comprendre sur l'histoire législative qui a façonné l'emploi des personnes en situation de handicap de 1924 à nos jours.
© Geraldine Aresteanu
Emmanuel Perret, FFA : faire de l'accessibilité un réflexe!
Anthropologue engagé, Emmanuel Perret devient délégué général de la Fédération française de l'accessibilité. Sa mission ? Fédérer les acteurs du secteur, le professionnaliser et faire de l'accessibilité un investissement pour toute la société.

"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"