* Etablissements recevant du public
« Je rêve de marcher en toute sécurité sur les trottoirs de Paris mais je suis constamment en danger », révèle l'une des participantes de la 43e rencontre de l'Apact (Association pour la promotion de l'accessibilité et de la conception pour tous), qui fêtait, le 30 janvier 2023, ses dix ans d'engagement pour l'accessibilité universelle. Sa voix résonne dans le salon rouge de la Maison de Victor Hugo, à Paris. Et ce n'est pas la seule... Cette « rencontre » prend rapidement des allures de « coup de gueule ». « 18 ans après la loi de 2005, des interrogations persistent et le constat est inquiétant, déplore Soraya Kompany, présidente de l'Apact. L'accessibilité est encore loin d'être universelle et reste une exception. » Résultat ? « Malgré les évolutions technologiques, de nombreuses personnes éprouvent encore des difficultés pour passer un coup de fil, accéder aux services en ligne, à l'école ordinaire, aux transports, à des évènements culturels ou des pratiques sportives, à consulter un médecin en ville... »
Seule la moitié des ERP accessibles en France
100 % d'établissements recevant du public (ERP) accessibles en 2015, c'était l'objectif ambitieux de la loi de 2005 qui, selon Soraya Kompany, « a créé une mobilisation sans précédent et surtout beaucoup d'espoir ». Carole Guéchi, déléguée ministérielle dédiée, met fin au suspense : « On est loin du compte ! ». En 2014, lors du lancement des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP), qui permettent aux gestionnaires et propriétaires de poursuivre ou de réaliser la mise en accessibilité de leur établissement, 50 000 ERP sur 1,2 million respectaient la loi. « Une petite paille », selon Carole Guéchi. En 2023, 900 000 ERP sur 1,8 million sont dans une démarche d'accessibilité. La moitié, seulement. « Nous ne sommes pas arrivés à nos fins mais la situation a évolué dans le bon sens », ajoute-t-elle, soulignant que l'actuel dispositif Ad'AP prendra fin en 2024. Ou pas ? A Paris, 40 % des 60 000 ERP n'ont effectué aucune démarche. Même constat aux quatre coins de la France. « A Lyon, par exemple, certains gestionnaires m'annoncent des délais délirants allant jusqu'en 2034, s'irrite Carole Guéchi. Les petites communes peuvent manquer d'ingénierie et de moyens, et nous réfléchissons à des solutions pour les aider via différentes sources de financement, mais ce n'est pas le cas de certaines grandes métropoles qui ne sont pourtant pas au rendez-vous ». Elle déclare ensuite : « Le gouvernement est à deux doigts de faire la politique du 'name and shame' ! », qui consiste à dénoncer publiquement une entreprise pour ses mauvais agissements. Une menace surprenante compte-tenu du fait que les pouvoirs publics sont loin d'être exemplaires en la matière, de nombreux sites et établissements publics ne respectant pas les règles d'accessibilité, ce que dénoncent âprement les personnes concernées.
Des groupes de travail dans chaque ministère...
Pour impulser une nouvelle dynamique d'ici 2027, des groupes de travail, qui rassemblent une quarantaine de personnes, ont été créés au sein de chaque ministère afin d'identifier des solutions innovantes. « Que fait-on collectivement ? Comment continuer ? Différentes hypothèses sont sur la table », assure Carole Guéchi. L'une d'elles porte sur l'accompagnement, notamment financier, des commerces de proximité (bouchers, boulangers...). Dans la perspective de la Conférence nationale du handicap (CNH) prévue au printemps 2023 -la date officielle n'a pas encore été communiquée-, les attentes sont fortes, non négociables. « Et si l'on interdisait l'ouverture des ERP qui ne respectent pas les conditions d'accessibilité pour les personnes handicapées, comme il est d'usage pour la sécurité incendie ? », s'impatiente un usager. « C'est l'une des propositions que nous avons faites », affirme Carole Guéchi. Reste à savoir si le gouvernement acceptera... De son côté, lors de la présentation de ses vœux le 25 janvier 2023, Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée au Handicap, disait « envisager » l'instauration d'un régime de sanction, menace déjà brandie par ses prédécesseurs mais qui n'a jamais été concrétisée. « La création d'un fonds d'accessibilité, promise par Emmanuel Macron, sera-t-elle annoncée lors de la CNH ? », s'interrogeait-elle en parallèle.
... et un sous-préfet dans chaque département
D'autre part, Geneviève Darrieussecq a nommé, dans chaque département, un sous-préfet qui a le rôle de « référent handicap et inclusion ». « Un relai particulièrement précieux dans les territoires qui va pouvoir observer si les politiques publiques sont appliquées sur le terrain », se félicite Carole Guéchi. En relation directe avec les collectivités, il pourra ensuite rendre des comptes au gouvernement. La déléguée ministérielle à l'accessibilité promet un bilan de l'avancée de ces actions en cours en mars 2023. D'ici-là, « il faut rappeler à toutes les autorités de ce pays, à tous les niveaux, qu'il faut poursuivre nos efforts ! », assène-t-elle.
Acte européen d'accessibilité : 2 ans pour rentrer dans le rang
C'est également l'instruction de la Commission européenne. En effet, en juillet 2022, la France, comme 23 autres pays de l'Union, était mise en demeure pour « non-transposition de l'acte législatif européen sur l'accessibilité » (Lire : Acte européen de l'accessibilité : la France à la traîne ). Le pays est sommé de mettre en application, le 28 juin 2025 au plus tard, les mesures portant notamment sur tous les biens et services numériques permettant la délivrance de titres de transport, les services de transport et d'information, mais aussi tous les terminaux de paiement ainsi que l'ensemble des services bancaires aux consommateurs, les ordinateurs et les systèmes d'exploitation, les smartphones, les tablettes et les équipements télévisuels, les livres électroniques et les logiciels spécialisés, le commerce en ligne et le numéro d'urgence européen 112. Le travail sur cette directive européenne est en « voie de finalisation », assure Geneviève Darrieussecq. Le Comité interministériel du handicap (CIH) du 6 octobre 2022 a promis de mobiliser tous les acteurs concernés.
Manque de savoir-faire des pro
Si, selon Soraya Kompany, le cadre juridique est complet, c'est le manque de savoir-faire des professionnels et « l'absence de véritable mobilisation pour former, informer et sensibiliser à tous les niveaux » qui font défaut. Elle pointe notamment des équipements d'accessibilité mis en place pour les personnes ayant des déficiences auditives que les personnels des ERP ne savent pas utiliser. Pour Carole Guéchi, « le gros problème c'est que l'on n'envisage toujours pas l'accessibilité de manière native ». Isabelle Saurat, fraîchement nommée déléguée interministérielle à l'accessibilité (article en lien ci-dessous), a donc du pain sur la planche. D'ici-là, « le défi continue pour l'Apact », qui prévient : « Nous ne lâcherons rien ».*