Enfant autiste tué : débat brûlant sur les parents à bout

Une mère poignarde son enfant autiste parce qu'elle est à bout. Depuis, des parents témoignent qu'ils ont eux aussi parfois pensé au pire. Face à ce discours compassionnel, certains s'indignent. Un drame individuel dans une dimension collective ?

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Le 31 octobre 2022, une mère est mise en examen pour le meurtre de son fils autiste (article en lien ci-dessous). Après l'avoir frappé dans l'appartement familial, elle avoue l'avoir poignardé avec un couteau de cuisine près d'une rivière dans les environs de Marseille. Le drame a défrayé la chronique et suscité de nombreuses réactions ; quand la plupart se sont indignés, d'autres ont cherché à comprendre ce geste. Cette maman de 39 ans, séparée de son mari et s'occupant de son enfant à plein temps, explique qu'elle a été « dépassée par les crises de son fils » de onze ans, « n'arrivait plus à gérer la situation », certaine que cela « ne finirait jamais ». Son frère décrit une mère « très protectrice de cet enfant », pour lequel elle « s'est battue ». Il ajoute avoir « essayé de l'aider pour qu'elle se fasse accompagner par des institutions spécialisées mais cela avait échoué », ajoute-t-il. Des voisins décrivent une femme « marquée ».

Comprendre cette maman ?

Dans la foulée, le media belge RTBF interroge ses lecteurs : « Des parents d'enfants autistes pensent parfois au pire : comprenez-vous ces idées noires ? ». Trois auditrices, toutes des mamans, consentent en effet qu'elles ont pu, parfois, avoir des « pulsions violentes » mais sans jamais « passer à l'acte ». Pour Jean-Marc Bonifay, président d'Autisme Paca, « il faut avoir vécu des situations critiques pour savoir de quoi on parle », chaque personne ayant, selon lui, une « résistance au stress et un parcours différents ». L'animatrice Eglantine Eméyé s'est, elle aussi, exprimée publiquement. Maman d'un enfant autiste et polyhandicapé, invitée sur le plateau de C à vous, elle explique avoir déjà pensé à « jeter son fils par la fenêtre » et se « suicider ensuite », ajoutant « il faut être solide pour tenir ». Elle invoque « le manque de prise en charge », les « mères qui arrêtent de travailler » mais qui ne « sont pas des éducateurs formés pour ce pour ce type de troubles » sévères. Elle ajoute : « Ça vous vrille le ventre et en plus vous ne dormez pas ! Quand c'est notre quotidien jour et nuit pendant des années, je peux comprendre qu'à un moment on craque », ajoutant qu'il lui arrive d'aider des parents dans cette détresse. C'est tout de même le procédé, particulièrement violent, à l'arme blanche, qui interroge. Pour Jean-Marc Bonifay, « rien ne le justifie, mais la raison n'est plus là quand la souffrance et le désespoir l'emportent ».

Des témoignages trop compassionnels ?

Sur les réseaux sociaux, les réactions témoignent de l'embarras sociétal sur ce sujet. Certains s'indigent de la confession trop « compassionnelle » d'Eglantine Eméyé, rappelant qu'il s'agit tout de même d'un infanticide. Pour Autisme Belgique, c'est « ouvrir la boîte de Pandore pour légitimer le meurtre d'enfants ou d'adultes en raison de leur handicap, c'est donner des idées à d'autres, et c'est criminel ». Une porte ouverte à l'eugénisme ? Elisa Rojas, avocate et militante en faveur des droits des personnes handicapées, riposte au discours d'Eglantine Eméyé en dénonçant sur Twitter des discours « validistes » : « C'est le privilège des parents d'enfants handicapés, à fortiori protégés par leur statut social comme ici, de pouvoir faire ce genre de déclaration sans que cela ne porte à conséquence ? ». Selon elle, « qu'un enfant handicapé soit retrouvé inanimé dans la baignoire d'un IME (ndlr : allusion à un autre drame survenu au même moment) ou tué à coups de couteau par sa propre mère, l'indifférence est la même. Sa mort n'est jamais un drame inacceptable mais un soulagement pour l'ensemble de la société ». D'autres internautes s'indignent, eux aussi, du fait qu'on puisse justifier le meurtre par le handicap d'un enfant : « Ne pas ASSASSINER vos enfants car 'iels' sont handi, c'est trop dur à comprendre comme concept ? ». 

Des confessions brûlantes

Déjà en 2019, les confessions d'Anne Ratier dans son livre J'ai offert la mort à mon fils (article en lien ci-dessous), avaient suscité un débat brûlant. Elle y expliquait les raisons qui l'avaient poussée à commettre un meurtre avec préméditation, selon elle « par amour ». Adrien Taquet, à l'époque secrétaire d'Etat en charge de la protection de l'enfance, avait alors jugé ce témoignage « consternant sur la forme, inadmissible sur le fond », ajoutant « quand plus d'un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups d'un membre de sa famille, on ne banalise pas ces crimes. Rien ne justifie de tuer un enfant ».

Chercher de l'aide

D'autres affaires encore, parfois moins médiatisées que celles de Marseille… En 2016, une maman solo habitant à à Landres (Meurthe et Moselle) est condamnée à 16 ans de prison pour avoir poignardé son fils autiste de 14 ans à plusieurs reprises. Selon les psychiatres, elle traversait un état dépressif sévère ; la cour, ayant reconnu une abolition du discernement, a tout de même jugé qu'elle avait une « large part de responsabilité dans la création du contexte délétère ». Comment éviter d'en arriver là ? Jean-Marc Bonifay encourage, « avant de commettre l'irréparable », les « parents qui « ont eu des idées noires » à « chercher de l'aide auprès d'un tiers », « l'inhumanité étant de les laisser au bord du chemin ». Une nécessité qui, selon lui, vaut aussi pour les personnes autistes, puisque des études attestent un taux élevé de pensées et comportements suicidaires dans ce public.

Une responsabilité sociétale ?

Face à ce nouveau meurtre, Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA), questionne : « Ne serait-ce pas un drame individuel à prendre dans une dimension collective ? ». Comme elle, d'autres voix interrogent l'accompagnement, ou plutôt le manque d'accompagnement de certaines familles. Jean-Marc Bonifay dénonce un « système comptable qui ne priorise pas l'humain » avec un « budget alloué à l'autisme » (ndlr : 490 millions d'euros engagés depuis 2018, tandis que la stratégie autisme sera renouvelée entre 2023 et 2027, article en lien ci-dessous) qui ne permet pas de « prendre en charge toutes les personnes autistes qui en ont besoin dans le respect des recommandations de bonnes pratiques de la HAS (Haute autorité de santé) ». Il mentionne tout particulièrement la « préadolescence et surtout l'adolescence » avec « davantage d'autistes sans solution » alors que la « période est critique ».

Marie Rabatel déplore à son tour « un abandon trop courant des parents d'enfants autistes, souvent isolés », ajoutant que « la responsabilité de la société ne peut être esquivée pour ne pas avoir veillé aux 'Zéro sans solution' qui est un devoir collectif ». Depuis 2014, ce rapport de Denis Piveteau qui revendique en effet un parcours de vie sans rupture pour les personnes en situation de handicap et leurs proches, resterait « encore ignoré ». Interrogée par Handicap.fr, la délégation interministérielle à l'autisme et aux troubles du neurodéveloppement n'a pas souhaité répondre. 

Chams-Ddine Belkhayat, président de Bleu Network et Bleu Inclusion, s'en prend, quant à lui, à la notion de « répit pour les aidants », ce « concept que l'on assène comme un mot magique alors qu'il s'adresse à des gens à bout de souffle ». Or, selon ce papa d'un garçon autiste, c'est « bien avant qu'il faut trouver des solutions car chacun a le droit à une vie digne, de travailler, partir en vacances, passer des moments agréables en famille, amener ses enfants à l'école, dormir la nuit… ». Il conclut que « les enfants en situation de handicap ont eux aussi des droits ! ».

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