« T'es une chaudasse. » Cette phrase, Marie*, 35 ans, l'a entendue un nombre incalculable de fois depuis qu'elle est en âge de comprendre la sexualité. Sauf que la sienne est un calvaire. Oui, Marie s'approche de l'orgasme jusqu'à quinze fois par jour. Et, non, Marie n'est pas une chaudasse. Elle est atteinte du syndrome de l'excitation génitale permanente (SEGP), qui se traduit par une excitation physique incontrôlable malgré une absence totale de désir sexuel.
Environ 1 % des femmes en France
Si la prévalence du syndrome est d'environ 1 % en France, la littérature scientifique estime que les femmes concernées sont en réalité bien plus nombreuses. En témoignent les multiples messages de détresse qui affluent sur la boîte mail de Marie ( segp.parole.libre@gmail.com ), rattaché au compte Instagram éponyme. De ses 5 à 29 ans, la jeune femme enchaîne les crises, « qui peuvent durer de plusieurs heures à plusieurs jours, voire semaines ». Des symptômes qui affectent son identité sexuelle et sa personnalité. « D'un coup, je sens comme une douleur au niveau de mon clitoris, explique-t-elle. Ça tire, ça fait mal, je suis sur le point de jouir alors que je suis en train de finaliser la présentation que je dois rendre le lendemain à mon boss .» Car les crises surviennent en dehors de tout contexte sexuel, dans l'espace public, au travail, en voiture, dans son lit, de jour comme de nuit. Démunie, Marie ne trouve dans la masturbation qu'un court répit. « Ça me soulage dix secondes mais, en réalité, cela ne fait qu'empirer les crises par le sang qui afflue dans la zone génitale concernée. »
Des conséquences psychologiques graves
« Dans le syndrome de l'excitation génital permanente, orgasme n'est pas égal à plaisir », précise le docteur Antoine Faix, spécialiste du sujet en France (Lire : Podcast "Rare et je vis avec" : Antoine Faix, épisode 10). En 20 ans, l'urologue, andrologue et sexologue a reçu une vingtaine de femmes, de tous âges, parfois proches de la ménopause et qui partagent la « même détresse psychologique ». A ne pas confondre avec la nymphomanie qui est une addiction au sexe, le SEGP est un trouble aux multiples causes, psychologiques et physiologiques, peu, voire pas, calmé par la pratique sexuelle. Et ses conséquences sur la santé mentale sont considérables. En 2012, une Américaine de 39 ans, Gretchen Molannen, met fin à ses jours après 23 ans d'une vie en pointillés. « J'espère que d'autres femmes qui souffrent auront désormais le courage d'en parler à un médecin » seront ses derniers mots. Epuisée, à bout, Marie a, elle aussi, sombré dans une dépression profonde et flirté avec des idées suicidaires. « Vivre avec ça, c'est atroce. » Au travail, la trentenaire se montre moins performante, plus nerveuse, présente des problèmes de concentration. En public, rien ne laisse présager qu'elle implose. Et, pourtant, tout son corps se tend, ses jambes tremblent, son cœur palpite, son cerveau se crispe, au bord de l'orgasme.
Long protocole médical
Longtemps, elle a cru qu'elle souffrait d'hypersexualité. Jusqu'au jour où son mari, neuropsychologue, entame des recherches et tombe sur le syndrome de l'excitation génitale permanente. Bingo, Marie coche toutes les cases. C'est un soulagement. Il lui faudra pourtant s'armer de patience pour trouver le bon spécialiste, celui qui connaît véritablement ce trouble (ils sont rares en France), entend sa parole et la traite avec bienveillance. Elle trouve son salut dans la rencontre avec un psychiatre et la prise d'un « psychotrope de type inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine », un antidépresseur qui engourdit la zone génitale. Il lui faudra toutefois suivre un long protocole médical pour identifier la source de son mal-être. On lui prescrit alors une IRM pelvienne, cérébrale et sacro-lombaire ainsi qu'un bilan hormonal. On cherche entre autres à savoir si la patiente présente un kyste de Tarlov sur la colonne vertébrale, qui comprime le nerf pudendal, responsable de symptômes d'excitabilité persistante. C'est le cas. Sauf que le kyste en question n'est pas à l'origine d'une éventuelle compression nerveuse.
Des causes psychologiques ?
Au bout d'une longue psychothérapie, Marie identifie une autre explication ; la jeune femme a subi des abus sexuels durant sa petite enfance. « Dans 80 % des cas, c'est la raison principale », présume-t-elle, sans qu'il n'y ait de données consolidées à ce sujet. « Une prise en charge pluridisciplinaire est nécessaire », enchaîne Antoine Faix. La première porte d'entrée en cas de symptômes avérés ? Le gynécologue. Urologues, sexologues, algologues (médecin spécialisé dans la prise en charge de la douleur), neurologues, psychothérapeutes peuvent intervenir tour à tour selon leur spécialité. « Malheureusement, il n'y a pas de traitement miracle puisqu'il n'y a pas une mais des causes », tranche Antoine Faix. Antalgiques, anxiolytiques, décontractants musculaires et traitements hormonaux peuvent également être prescrits. « On va surtout essayer de traiter les symptômes », poursuit-il.
Reconnue invalide par l'Assurance maladie
Si Marie a retrouvé un semblant de vie normale, avec la disparition des crises depuis plusieurs années, la jeune mère de famille ne peut plus travailler, souffre de phobie sociale, d'une grande fatigabilité liée à la prise de son antidépresseur et d'un lot d'effets secondaires particulièrement désagréables (maux de tête, étourdissements, diarrhée, nausées, tremblements, fourmillements, douleurs musculaires, bourdonnements d'oreille, troubles visuels, éruption cutanée, transpiration excessive, palpitations, bouffées de chaleur, baisse de la libido…). Le prix à payer pour (re)vivre, enfin. Côté sexualité, c'est là aussi très compliqué. Elle mène des démarches fastidieuses auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour faire reconnaître son handicap invisible mais est d'ores-et-déjà reconnue comme « invalide » par l'Assurance maladie. Elle occupe désormais une bonne partie de son temps à la sensibilisation à cette maladie méconnue, taboue, à travers son compte Instagram @segp_parole_libre, un espace « safe » où chaque témoignage est considéré à sa juste valeur.
* Ce prénom a été modifié pour conserver l'anonymat du témoin