Par Arnaud Bouvier
"Ces jeunes-là, personne n'en veut" : associations et familles espèrent que le film Hors normes, en salles le 23 octobre 2019, aidera à changer le regard sur le sort de milliers d'enfants ou adolescents porteurs d'une forme sévère d'autisme, et qui peinent à trouver une prise en charge. Oscillant entre drame et légèreté, le dernier long métrage d'Eric Toledano et Olivier Nakache est "courageux" car il montre "une réalité terrifiante, que personne ne soupçonne", souligne Christine Meignien, présidente de la fédération Sésame Autisme.
Combler les manques
Hors normes dépeint le quotidien de deux associations bien réelles, qui prennent en charge à Paris et en banlieue des cas complexes d'autisme, pour lesquels n'existe aucune autre solution - si ce n'est l'hôpital psychiatrique, peu adapté pour eux sur le long terme. Pour des dizaines de familles désespérées, ces deux structures constituent souvent le dernier recours. "Nous avons comblé les manques, nous nous sommes infiltrés dans les interstices du système pour pallier les carences d'un pouvoir politique qui accorde trop peu de moyens", résume Stéphane Benhamou, le fondateur du Silence des justes, campé à l'écran par Vincent Cassel. Sur toute la France, ce sont des dizaines de milliers de places qui manquent. Et en Île-de-France, "nous avons 87 places, mais vu le nombre de familles qui nous contactent et qui n'ont pas de solution, il faudrait en rajouter au moins 100", dit à l'AFP ce travailleur social militant.
40 ans de retard
"En matière d'autisme, la France a 40 ans de retard. Il y a des dispositifs mis en place pour récupérer ce retard, mais ce n'est pas assez", explique son ami Daoud Tatou, à la tête du Relais Île-de-France, interprété par Reda Kateb dans le film. Et les difficultés sont d'autant plus grandes que, dans ces deux structures, "l'autisme qu'on vit tous les jours, ce n'est pas 'Rain Man'", ajoute-t-il en référence à ce film de 1988 où Dustin Hoffman campait un autiste doté d'exceptionnelles compétences intellectuelles. Certaines des personnes atteintes d'un autisme "complexe" ne parlent pas, ou peuvent être prises d'accès de violence, envers les autres ou envers elles-mêmes. Ce que dénoncent les associations - et le film -, c'est que la plupart des structures, débordées par les demandes, ne donnent pas la priorité à ces cas lourds, alors que ce sont justement ceux qui auraient le plus besoin d'une prise en charge rapide et adaptée.
Des situations infernales
"C'est très difficile, en tant que parent, d'aller frapper à toutes les portes, et d'entendre les professionnels vous dire 'non, c'est trop compliqué'", témoigne Christine Meignien. "Certaines familles vivent des situations infernales, inimaginables", ajoute la présidente de Sésame Autisme, évoquant un cas où les voisins avaient lancé une pétition pour obtenir l'expulsion d'une famille dont l'enfant "passait ses journées et ses nuits à se taper la tête contre les murs". "Mais aucun de ces voisins ne s'était demandé comment faire pour aider ces gens qui n'avaient aucune solution", déplore-t-elle. Pour Christine Meignien, le grand mérite du film, où la plupart des patients sont joués par des autistes, est de redonner à ces personnes "la part d'humanité qu'on doit leur reconnaître".
Pas des « martiens »
Stéphane Benhamou et Daoud Tatou, qui ont été embarqués dans cette aventure cinématographique car ils sont amis de longue date avec les deux réalisateurs, espèrent que Hors normes, diffusé dans 47 pays, amènera le grand public à porter un autre regard sur les personnes autistes. "Si tout le monde y était sensibilisé dès la maternelle, peut-être que plus tard, en voyant un autiste, les gens n'auraient pas l'impression d'avoir affaire à un martien, peut-être que les recruteurs regarderaient leur CV autrement", analyse Daoud Tatou. Pour Stéphane Benhamou, "ces enfants font partie de notre monde à nous, il ne faut pas les cacher".