« Le Ségur pour tous ! », scande une armée de manifestants descendue dans la rue pour demander des revalorisations salariales au même titre que les soignants des hôpitaux et des Ehpad, suite au Ségur de la santé en juillet 2020 (article en lien ci-dessous). Ces images ont été filmées en janvier 2022 dans le cadre du film « Personne. Les oubliés du Segur », un documentaire réalisé par Eva Carrette et Lorraine Reinsberger et principalement tourné à l'Archipel Aliénor, en Gironde, sur une idée originale de plusieurs associations*, avec le soutien de Paralysie cérébrale France qui a très tôt tiré le signal d'alerte (article en lien ci-dessous). Durant cinquante minutes (vidéo ci-contre), le film donne la parole à des pensionnaires d'un établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés, à leur famille, mais surtout à ces personnels du médico-social du handicap qui n'ont cessé de réclamer durant dix-huit mois les 183 euros de plus par mois octroyés à leurs confrères pour compenser leur dévouement durant la crise sanitaire. Le coup de grâce pour un secteur victime d'une paupérisation et d'une déqualification depuis plus de vingt ans !
Un secteur qui recrute
Le film filme les maillons invisibles de cette chaîne, des soignants à la maintenance, en passant par les cuisines et les maîtresses de maison. Il révèle les injonctions paradoxales auxquelles ils doivent faire face tout en mettant en lumière leurs métiers, leur courage, leur détermination à continuer à faire le mieux possible dans un contexte très difficile. « Nous aussi, on a manqué de matériel, de masques, de gants pendant la crise », s'exclame l'une d'elles. Manque de moyens mais aussi de personnel ! En janvier 2022, la Fehap et Nexem (principale organisation professionnelle des employeurs associatifs du secteur) publient le premier baromètre des tensions de recrutement : 4 300 postes à pourvoir dans les structures sondées, soit une estimation de 30 000 au niveau national (article en lien ci-dessous). Il recense également 5 300 départs dont 2 650 démissions ou ruptures conventionnelles, vers des secteurs plus attractifs. A ces difficultés, s'ajoutent le manque de candidats formés et les contraintes inhérentes à ces métiers.
Les personnes handicapées payent le prix fort
Résultat, les personnes en situation de handicap sont elles aussi tributaires de cette hémorragie (article en lien ci-dessous). Avec ce turnover, il faut s'habituer en permanence à de nouveaux personnels qui n'ont pas la connaissance fine de ceux qu'ils accompagnent. « Ça tourne tous les matins », se plaint Florent. Difficile de demander à ces remplaçants à peine arrivés d'avoir « une très haute technicité », reconnaît Alexandre Cuvellier, directeur de l'Archipel Aliénor, surtout avec des niveaux de rémunération bas. Revalorisation des salaires et reconnaissance des compétences de ces métiers invisibilisés sont les maîtres mots de ces personnels épuisés. « En tant que citoyenne, ça me pose question sur la façon dont l'État considère les personnes vulnérables dans notre société » souligne, les larmes aux yeux, une soignante. Fataliste, Delphine Haurie-Campos, directrice adjointe Archipel Aliénor, conclut de son côté : « Le polyhandicap, je crois que ça n'intéresse personne, en fait ».
Si les annonces du gouvernement en février 2022 lors de la conférence des métiers de l'accompagnement social et médico-social constituent une avancée, prévoyant un élargissement des revalorisations du Ségur aux travailleurs sociaux (article en lien ci-dessous), il « reste encore beaucoup à faire avant d'envisager une éventuelle sortie de crise », concluent les réalisateurs.
*L'Action réseau innovation pour les personnes en difficulté motrice cérébrale et cognitive (Arimoc), l'Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) Gironde et Hapogys