Mendoza. Cordillère des Andes. Simón fait face à une violente tempête. Un présage des (mésa)aventures qui attendent ce jeune argentin de 21 ans ? Depuis peu, il fréquente une nouvelle bande d'amis quelque peu inattendue. Auprès de ces jeunes en situation de handicap, pour la première fois, il a le sentiment d'être lui-même. Mais son entourage s'inquiète et ne le reconnaît plus. Et s'il voulait devenir quelqu'un d'autre ? Simón de la montaña, un film authentique qui « explore la notion de capacité humaine », réalisé par Federico Luis, en salle le 23 avril 2025.
« Simón est-il handicapé ? » : question centrale du film
Alors que certains le craignent, Simón fait des pieds et des mains pour obtenir un « certificat de handicap », la clé pour intégrer l'établissement spécialisé dans lequel sont accueillis ses camarades. « Plus tu fais l'idiot, mieux c'est », lui lance son meilleur ami, Pehuén, avec qui il fait les 400 coups. « Être ou ne pas être... handicapé ? » Cet amateur de théâtre est taraudé par cette question tout au long du film. Les spectateurs aussi s'interrogent. « Je pense que tous les personnages du film se posent la question, sauf la mère peut-être », intervient le réalisateur argentin. Alors, verdict ? « Dans le scénario nous apportions initialement quelques réponses, puis nous nous en sommes détachés. Il m'a semblé que le jeu de Lorenzo Ferro (qui incarne Simón, ndlr) et le montage comblaient le besoin d'explications ; sans apporter de réponse franche... » Le personnage de Simón est une « construction fantastique qui conjugue les préoccupations, les projections, les passions et les obsessions qui gravitent autour de la notion de handicap », ajoute-t-il.
Des personnages handicapés plus « sombres », plus humains
Alors que dans de nombreux films, les personnages en situation de handicap sont souvent représentés de manière positive pour susciter l'empathie – comme dans Forrest Gump, Gilbert Grape ou Rain Man – celui-ci prend le parti de révéler des dimensions plus « sombres », plus « manipulatrices », selon les propres termes de son scénariste. « Une personnalité à plusieurs facettes est constitutif de tout être humain, plaide Federico Luis. Ceux qui les présentent comme des êtres de lumière, tendres, gentils, leur ôtent leur dimension humaine. Il me semblait indispensable et utile de réintroduire ce clair-obscur. »
Explorer le désir « de ceux qui en semblent exclus »
Souhaitant définitivement briser les tabous et casser les codes, le réalisateur explore aussi « le désir de personnes qui semblent exclues de l'univers du plaisir (et de sa représentation cinématographique) ». « Tu es libre d'avoir une vie amoureuse mais en dehors de cet établissement. Ici, il y a des règles ! », assène le directeur du centre dans le film. « Je suis fasciné par les formes alternatives de tendresse, celles qui, inconsciemment et sans calcul, court-circuitent la morale affective dominante par d'autres formes d'amour et de folie, livre Federico Luis. Et si, à cette occasion, le film bouscule un tout petit peu notre rapport à la folie, c'est gagné ! »
Une plus juste représentation du handicap au cinéma
Autre élément distinctif ? Tous les personnages handicapés sont incarnés par des personnes concernées. « Dans de nombreux films, on fait encore le choix d'engager des acteurs neurotypiques pour incarner des handicapés (comme avec le blackface du cinéma des années 1930 : des acteurs blancs grimés en noir). Je suis ravi de pouvoir interroger et tordre le cou à ce préjugé, dire adieu à un monde qui meurt et voir émerger un monde nouveau », confie Federico Luis, qui se demande « souvent si le cinéma est capable de changer notre façon de voir le monde ».
Halte au regard compatissant et condescendant !
La plupart de ces comédiens ont ainsi fait leurs premiers pas dans le septième art, comme n'importe quel acteur. « Ce sont tous des étudiants en théâtre que j'ai choisis parmi d'autres, comme pour n'importe quel casting. Ils ont été engagés, nous avons répété, nous avons filmé et ils ont été payés, explique le réalisateur. Ce sont des travailleurs professionnels. » De même, sur le plateau, « nous avons travaillé leurs interprétations avec la même exigence que pour tout autre acteur. Je n'ai jamais imaginé les traiter d'une manière plus douce ou paternaliste. Ce que j'ai essayé de faire, en revanche, c'est de les protéger d'un regard condescendant ou compatissant, un regard si courant et pourtant si discutable », affirme M. Luis, soulignant que le tournage a dû être très rapide (16 jours).
« Le différent et le normal : une idée binaire »
L'autre enjeu de cette œuvre est de réinterroger les notions de normalité et de handicap. « Aucun des mots qui désigne le handicap ne sonne juste », estime celui qui préfère parler d'« hyperception ». Découvrez notre interview exclusive à ce sujet : Federico Luis : cinéaste argentin qui interroge la normalité.
Film primé lors du Festival de Cannes
Salué pour son authenticité lors du Festival de Cannes 2024, ce long-métrage de 96 minutes a reçu le Grand Prix lors de la 63e semaine de la critique. Une motivation supplémentaire pour en tourner un second sur le handicap ? « Filmer ces personnages m'a tellement fasciné », assure Federico Luis, mais il confie entrevoir un avenir « très sombre » pour le cinéma argentin. « Javier Milei, le président actuel, a choisi de faire du cinéma et de la culture ses ennemis politiques pour mener à bien sa campagne. Il s'est systématiquement attelé au démantèlement de la culture argentine avec une cruauté effrayante et orienté vers un capitalisme sauvage, déplore l'homme originaire de Buenos Aires. Sans pluralité de voix, sans cinéma fédéral, sans cinéma d'auteur et sans voix singulières, il est impossible de faire un film en Argentine aujourd'hui. »
© Affiche de Simón de la montaña