Florian Deygas, atteint de SEP : harcelé par son employeur

Atteint de sclérose en plaques, Florian Deygas a subi le harcèlement moral au sein de son entreprise. Après 7 ans de combat, il vient de remporter la victoire contre ses agresseurs. De l'espoir pour les travailleurs handicapés discriminés.

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Portrait de Florian Deygas.

Le 19 mars 2025, Florian Deygas ne l'oubliera jamais. La Cour de cassation, plus haute juridiction du pays, a entériné le verdict de la Cour d'Appel de Pau. Aussi, Trans-Landes, entreprise publique d'autocars landaise, qui s'imaginait pouvoir bénéficier d'une impunité totale, notamment en raison du soutien des notables de sa région, n'a pas eu le dernier mot. David a terrassé Goliath.

Un univers impitoyable pour les personnes handicapées ?

Des demandes disproportionnées, mais aussi des mots, des regards ou des attitudes qui agressent... Le monde du travail peut parfois devenir un univers impitoyable, et plus encore pour les personnes en situation de handicap. Il y a encore quelques années, le sujet était tabou, victimes et témoins de ces situations de violences répétitives et humiliantes préférant se réfugier dans un silence coupable. Aujourd'hui, la parole se libère, contribuant fortement à changer nos représentations, à ne plus accepter l'inacceptable, et à ne plus banaliser cette violence. Après des années de lutte acharnée contre l'injustice, Florian Deygas en est désormais convaincu.

Nouveau travail, nouvelle vie

En 2014, Florian Deygas est secouriste et sapeur-pompier à Paris. Il aime son métier, il aime les gens. Mais, cette année-là, il commence à ressentir des douleurs et des raideurs dans les jambes. Il réalise très vite qu'il ne pourra pas continuer longtemps à exercer une profession nécessitant une excellente condition physique. Il s'interroge alors sérieusement sur son avenir, d'autant qu'il vient de faire la rencontre de Jennifer. Native des Landes, la jeune femme réside à Soustons. Le jeune pompier quitte la capitale pour la rejoindre. « Parallèlement, j'ai décidé aussi d'accepter ce changement physique incompréhensible qui s'opérait progressivement en moi sans raison apparente, explique Florian Deygas. J'ai donc postulé pour devenir chauffeur de bus chez Trans-Landes. »

Rattrapé par la maladie au volant de son bus

Au volant de son bus, Florian est heureux. Il peut continuer à avoir un contact direct avec le public, les usagers étant souvent très demandeurs d'échanges. Il décide tout de même de consulter un médecin généraliste pour comprendre l'origine de douleurs désormais de plus en plus présentes. Le médecin se veut rassurant : « Tout est psychosomatique et forcément en lien avec les grands changements de vie opérés par un jeune homme en bonne santé ! » « Mais il y a eu cette journée de 2016 qui aurait pu tourner au drame, poursuit-il. J'ai commencé à voir trouble et je n'arrivais même plus à parler. J'étais persuadé que je faisais un AVC. J'ai tout de même réussi à arrêter le bus et à dire aux gens d'appeler le Samu. » Hospitalisé aux urgences de Dax, il apprend, après moult examens, qu'il souffre en fait d'une maladie incurable, la sclérose en plaques (SEP). La veille de son hospitalisation, un ostéopathe lui avait conseillé de consulter rapidement un neurologue.

Vivre l'enfer au travail

« Par un hasard malheureux, mon entreprise a su presque aussitôt que je souffrais de sclérose en plaques, précise Florian. Elle s'est alors acharnée sur moi. Après deux mois d'arrêt maladie, j'ai repris mon travail dans des conditions déplorables malgré ma Reconnaissance de travailleur en situation de handicap (RQTH) et les préconisations de la médecine du travail. » De fait, cette dernière impose un bus climatisé automatique. L'employeur s'ingénie à lui assigner systématiquement le plus vieux bus de la régie. Florian pleure de douleur à passer les vitesses, suffoque en raison des bouffées de chaleur liées aux traitements lourds... Côté collègues, l'atmosphère se dégrade vite aussi, la plupart s'alignant sur l'attitude adoptée par la hiérarchie à son égard. « Arrête de te comporter en assisté, lui lance-t-on. Il y en a des plus malades que toi qui bossent sans se plaindre. » Jour après jour, la valse des brimades constitutives de tout harcèlement moral se poursuit. En raison de sa peau mate, il doit faire face aussi aux insultes racistes de la part de son supérieur : « Ça va l'immigré ? Comment va Daesh ? ». Rares sont ceux qui le soutiennent et l'incitent à porter plainte contre une entreprise ayant eu pourtant des antécédents de condamnations pour harcèlement moral.

Perdre aux Prud'hommes puis se relever

« Mon état a rapidement empiré et la médecine du travail a prescrit un mi-temps thérapeutique, mais Trans-Landes l'a refusé invoquant le prétexte fallacieux de difficultés d'organisation à le mettre en place. En 2019, mon corps a lâché, j'ai été déclaré inapte et licencié. » Malgré les coups bas, Florian n'entend pas en rester là. Il se décide à porter plainte. En 2022, l'affaire, portée aux Prud'hommes, au tribunal de Dax, vire à la comédie chabrolienne. Les notables se soutiennent, avec des proches faisant partie de ces mêmes Prud'hommes. Un an plus tard, l'arrêt de la Cour d'appel de Pau reconnaît enfin un harcèlement moral avéré, un « licenciement nul » et condamne Trans-Landes. Mais l'ex-employeur s'entête et se pourvoit en cassation. « S'il gagnait, je savais que je serais  contraint de rendre l'argent obtenu en dommages et intérêts à l'issue du jugement d'appel. Mais je vais enfin pouvoir souffler, la cour de Cassation a elle aussi rejeté en bloc les arguments de Trans-Landes », se félicite M. Deygas. Certes, il y a encore la procédure pénale en cours. Mais difficile d'imaginer un dénouement favorable à Trans-Landes sachant d'ores et déjà que l'inspection du travail a rédigé un PV accablant transmis au procureur.

L'impact sur la santé mentale

« La SEP est une maladie sournoise », indique Florian, devenu patient expert, administrateur de la fondation France sclérose en plaques et représentant départemental APF France handicap des Landes. « Elle vous fait vivre des moments d'accalmie puis le retour des poussées vous condamne au fauteuil roulant pendant des mois. Comme tous les handicaps invisibles, elle peut, dès lors, favoriser les situations de harcèlement voire les accentuer dans un milieu professionnel pas toujours bienveillant. » Ce harcèlement moral peut aussi avoir des conséquences sur la santé mentale. Au bord du vide, Florian a sombré dans une profonde dépression et fait une tentative de suicide. Puis, il s'est repris grâce à tous ceux qui l'ont soutenu dans la tempête. Il y a d'abord eu le soutien indéfectible de sa compagne, puis l'arrivée de Mattéo, son fils. Mais aussi des collègues comme François, Philippe, Magali, Pierre et Jean-Marie qui ont eu le courage de témoigner de faits inadmissibles, ainsi que des avocats acharnés à défendre la Justice et les soutiens anonymes et financiers via les réseaux sociaux pour faire face à la longueur des procédures. « Je sais aujourd'hui l'importance de connaître tous les dispositifs en matière de handicap, surtout lorsqu'on a maille à partir avec un employeur peu scrupuleux, conclut-il. C'est pourquoi j'ai rejoint de nombreuses associations pour aider ceux qui se sentent exclus et ne savent pas toujours comment se battre contre l'injustice. »

À noter que le 2 octobre 2024, Trans-Landes a reçu le label "Entreprise engagée salariés aidants", délivré par Cap'Handéo, en partenariat avec Klesia, groupe de protection sociale. Cette labellisation a été validée il y a six mois. L'entreprise aurait-elle eu une prise de conscience grâce à cette affaire ?

© Jennifer Brociero

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