« C'est foutu. Il ne pourra jamais faire de théâtre, ni être prof ni faire de la politique », promettait un psychanalyste, faisant écho au bégaiement tardif de François Bayrou. Il a finalement fait les trois, et bien plus encore... Le 13 décembre 2024, le Centriste de 73 ans a été nommé Premier Ministre par Emmanuel Macron, une semaine après la chute du gouvernement Barnier. Une revanche pour celui qui était jadis moqué pour son handicap.
« L'orateur » bridé
Petit, cet originaire des Pyrénées-Atlantiques nourrit un amour intarissable pour le verbe. « On m'appelait 'l'orateur' tant j'avais envie de parler», explique-t-il en 2011 dans les colonnes du Journal du dimanche, en parallèle de la sortie du film Le discours d'un roi, qui narre la vie du roi britannique Georges VI, également bègue. Cette idylle prend fin à ses 7 ou 8 ans, alors que les premiers bégaiements débarquent. Une « épreuve », que traversent surtout les garçons, indique M. Bayrou au JDD. « Ce n'est pas une petite chose dans une vie, et dans une vie de garçon surtout, pour qui le leadership de la parole est tellement essentiel. Le bégaiement est l'endroit où s'est produit une fêlure. »
Un parcours scolaire brillant
Une « fêlure » contre laquelle il luttera durant toute son enfance. A l'adolescence, il consulte une orthophoniste qui lui apprend notamment à respirer. Eurêka ! A l'issue de la séance, plus le moindre bégaiement. Les Bayrou sont aux anges... mais le « mal » ressurgit quelques semaines plus tard. Cela ne l'empêche pas d'avoir un parcours scolaire brillant : baccalauréat en lettres classiques, hypokhâgne, agrégation de lettres classiques... En parallèle, le jeune homme intègre le conservatoire d'art dramatique de Bordeaux et fait un stage dans un théâtre pour améliorer sa diction. Une détermination qui aura raison de son trouble de la parole. A 24 ans, il bute encore sur quelques mots lorsqu'il est fatigué mais ne bégaie quasiment plus.
« Sortir de l'enfermement » seul
« Sortir de cet enfermement-là et penser à ceux qui n'en sortent pas, c'est naturellement très marquant dans une vie. C'est un sentiment d'une telle injustice quand vous avez des flots de mots en éruption dans la tête et que vous ne pouvez les faire naître », confiait-il, toujours en 2011. « Des petits garçons m'écrivent et me demandent comment on en sort. Beaucoup font ce chemin intérieur avec un psychanalyste, moi, je l'ai fait seul, contrairement au futur roi George VI », poursuit-il.
Le message est plus important que la manière
François Bayrou n'a, dit-il, jamais cherché à dissimuler son bégaiement, n'en déplaise à ses détracteurs. En effet, sa diction lente et déliée, qui faisait jadis les choux gras des Guignols de l'info sur TF1, lui a valu des moqueries au début de sa carrière politique. Les premières années, « dans ma circonscription, mes adversaires faisaient campagne contre moi sur le thème 'il ne sait pas parler'. (...) J'ai appris à trouver les mots, à jongler pour dénicher ceux qui passent. Puis, avec le temps, vous comprenez que ce que vous dites est plus important que la manière dont vous le dites ».
Une aventure humaine formatrice
A 73 ans, le nouveau locataire de Matignon se dit « fier » de son parcours et est convaincu que « beaucoup de handicaps sont des forces ». « Tout cela est une vraie aventure humaine avec son poids sur les épaules, assurait-il au JDD. Elle vous forme et vous rend plus déterminé, plus attentif aux autres. » Et, de la détermination, il en faudra pour perdurer à l'ère Macron, qui a nommé six chefs du gouvernement depuis 2017...
© Capture d'écran lors de la passation de pouvoir entre Michel Barnier et François Bayrou