« J'aime la mode, les pierres précieuses, les cuisines, l'actrice de Star Wars. J'aime les punks, ils sont assez lisses, assez propres. J'aimerais en avoir un. Point. », martèle Aube. Après Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête (2017), le réalisateur Ilan Klipper revient sur le terrain de la psychiatrie avec un long-métrage à la frontière entre le documentaire et la fiction. Funambules (bande-annonce ci-contre) flirte entre réel et onirisme, à travers l'histoire de quatre protagonistes : Aube, Yoan, Marcus et Jean-François. Ilan Klipper, qui a fait du handicap psychique son sujet de prédilection, a pris le parti de les filmer dans leur intimité pour mettre en exergue les difficultés qui surgissent à la sortie de l'hôpital psychiatrique.
Synopsis : Personne ne sait de quoi est faite la frontière qui nous sépare de la folie. Personne ne sait jusqu'à quel point elle résiste. Aube, Yoan, Marcus, eux, ont franchi le seuil. Ils vivent de l'autre côté du miroir.
Un équilibre entre poésie et vérité brute
A 30 ans, Aube vit chez ses parents et répète à longueur de journée un chapelet d'incantations incohérentes, du petit-déjeuner au coucher. Elle décrit et décompose chacun de ses gestes, lorsqu'elle se coiffe, lorsqu'elle prend son thé. Aube, c'est aussi la grâce d'une danseuse de ballet, filmée avec délicatesse et féerie lorsqu'elle s'anime devant la caméra ou se confie sur son obsession de construire une histoire d'amour « avec un punk ».
Changement de décor à la rencontre de Yoan, 27 ans. Il fait les cent pas dans les jardins du service de psychiatrie de Bondy. Il répète à qui veut l'entendre que son père l'a abandonné, lui, sa mère et ses frères et qu'il doit sa maladie à cet épisode familial traumatisant. Yoan, c'est aussi une belle prose et des mots choisis avec justesse lorsqu'il rappe avec Anaïs, une autre pensionnaire de l'hôpital. « Dehors, c'est beaucoup plus dur, les gens ne rigolent pas, ils disent qu'on est faible, qu'on est nul. Mais moi je crois en le soleil. Eclaire-moi, soleil », s'exclame le jeune homme.
Marcus, quant à lui, vit coupé du monde dans son appartement parisien envahi d'objets et de détritus. Le vieil homme aux cheveux hirsutes est atteint du syndrome de Diogène, une pathologie psychiatrique qui se caractérise par une accumulation compulsive et engendre des conditions de vie négligées.
Enfin, il y a Jean-François, un ancien danseur de ballet marocain. Lui aussi vit dans le passé, à l'image d'un appartement figé dans un profond délabrement. Il reçoit la visite de son psychiatre et reproduit les quelques pas de danse appris autrefois.
Interroger les contours de la folie
Funambules aborde sans détour la maladie psychique (articles en lien ci-dessous) dans sa plus grande crudité, sans pourtant jamais la nommer dans une forme de pudeur impudique. Le réalisateur projette la folie dans ce qu'elle a de plus dérangeant pour la société qui refuse de s'y confronter. Les personnages sont décrits tels qu'ils sont, dans leur entièreté, à travers leurs délires, leurs obsessions, leur déconnexion du réel et la poésie et la justesse de leurs mots. Tous ont en commun un talent créatif, certains sont doués pour le rap, d'autres pour la danse.
Une expérience immersive
Funambules porte bien son nom. En effet, le spectateur avance sur un fil durant les 75 minutes de projection. Sur le fond comme sur la forme, tout est fait pour rendre l'expérience la plus immersive possible grâce aux très gros plans et à la qualité de l'image ; parfois troublée par l'ajout de filtres, elle plonge le spectateur dans la peau du protagoniste, une sorte de flou un peu fou. Ce parti pris est à l'image de la folie, imprévisible, dérangeant et totalement décousu. Il tente de la rendre palpable pour un public qui n'y serait pas confronté.
Néanmoins, à vouloir trop tendre vers l'immersion, l'œuvre d'Ilan Klipper a le défaut de perdre son spectateur dans les toutes dernières minutes, avec une rythmique moins cadencée. Si les premières scènes plantent le décor dans une logique documentaire, les derniers plans basculent dans le délire du réalisateur... Quitte à nous perdre. Mais n'est-ce pas son objectif ?
Funambules, en salle le 16 mars 2022, sera précédé en avant-programme d'un court-métrage, Juke-Box, du même réalisateur.