Manette adaptée aux joueurs à mobilité réduite, réglage des couleurs, signaux sonores pour joueurs non-voyants : les « gamers » en situation de handicap ont de multiples options pour profiter pleinement des jeux vidéo, mais des barrières persistent. « L'accessibilité doit faire partie de l'ADN de chaque employé de notre entreprise », assure David Tisserand, en charge de ces sujets chez Ubisoft (article en lien ci-dessous). L'objectif du géant français, qui compte environ 19 000 salariés dans le monde, est de « s'assurer que chacun assume ses responsabilités et comprenne que cela relève de sa mission », insiste M. Tisserand. Selon des estimations de Microsoft, 400 millions de joueurs présentent un handicap, soit près de 15% des joueurs de jeux vidéo dans le monde. Longtemps délaissée par l'industrie, la question de l'accessibilité est désormais mise en avant par les grands studios, éditeurs et constructeurs, qui justifient cet intérêt par des motivations éthiques et financières. Les sites et organisations spécialisés se sont eux, multipliés.
Pléthore de paramètres visuels et sonores
Depuis 2021, les Video Game Accessibility Awards récompensent les titres les mieux adaptés aux joueurs en situation de handicap. La seconde édition, qui a eu lieu mi-mars, a notamment consacré la simulation de course Forza Horizon 5, développée par Playground Games, premier jeu de l'histoire à proposer un support en langue des signes américaine et britannique. « La situation s'est beaucoup améliorée par rapport à ce qu'elle était pendant des décennies car les jeux peuvent maintenant être rectifiés avec des mises à jour », souligne Chris Robinson, un « gamer » de Chicago (Illinois), sourd de naissance, qui anime la chaîne DeafGamersTV sur Twitch. Des jeux récents comme The Last of Us Part II (Naughty Dog), Marvel's Guardians of the Galaxy (Eidos-Montréal) ou Far Cry 6 (Ubisoft) ont été acclamés par la communauté des joueurs de jeux vidéo en situation de handicap pour leur pléthore de paramètres visuels ou sonores. Côté accessoires, Microsoft a sorti en 2018 une manette pour la Xbox conçue pour les joueurs ayant des handicaps moteurs qui peuvent moduler les commandes et brancher des périphériques externes développés par des fabricants tiers, comme celui de l'entreprise suisse Logitech.
Encore des obstacles
Malgré ces avancées, de trop nombreux jeux continuent d'avoir « des sous-titres minuscules qu'on ne peut pas ajuster et dont on ne peut pas modifier l'arrière-plan ou bien ne proposent pas d'indications visuelles pour aider les joueurs sourds », regrette Chris Robinson. Un sentiment partagé par Soleil Wheeler, un autre joueur sourd, qui compte des centaines de milliers d'abonnés sur les réseaux sociaux, où il utilise le pseudonyme Ewok et diffuse ses parties des « battle royales » Fortnite et Apex Legends. « L'autre défi est de pouvoir communiquer avec des coéquipiers qui peuvent entendre », ajoute le jeune homme de 16 ans, qui rêve de voir apparaître une fonctionnalité générant automatiquement des sous-titres pour suivre les conversations orales entre les joueurs. Pour les joueurs atteints de déficience motrice, le coût reste l'un des principaux obstacles. La manette adaptée Xbox coûte 100 dollars (90 euros) auxquels il faut ajouter le prix de commutateurs, boutons ou joysticks externes, souvent fabriqués sur-mesure. Par ailleurs, Nintendo et Sony, les deux principaux concurrents de Microsoft sur le marché des consoles, ne proposent pas à l'heure actuelle d'accessoires équivalent à l'interface Xbox (article en lien ci-dessous). « Sony a mis beaucoup d'efforts sur l'accessibilité des jeux, mais cela s'adresse plutôt aux handicaps sensoriels qu'aux handicaps moteurs », note David Combarieu, fondateur de la start-up varoise Hitclic, qui propose des solutions adaptées aux joueurs à mobilité réduite. « Ils nous ont même compliqué la vie avec la PS5, qui a des problèmes de compatibilité avec les générations précédentes » de consoles, ajoute M. Combarieu, dont le beau-fils, Théo Jordan, est tétraplégique.
Normaliser le handicap dans l'industrie du jeu
Beaucoup de joueurs en situation de handicap expriment le souhait d'être davantage associés au processus de création des jeux. « Pour les développeurs, l'idéal est d'avoir un retour direct plutôt que de faire des recherches dans leur coin et d'essayer de deviner » les besoins, explique Carlos Vasquez, alias Rattlehead, un « gamer » aveugle de Houston (Texas) adepte des jeux de combat. Joueur de très haut niveau à Mortal Kombat, M. Vasquez, qui se repère uniquement grâce aux sons, a été contacté il y a quelques années par NethermRealm Studios, qui développe la franchise. Sur ses recommandations, le studio a ajouté des indices sonores aidant les joueurs aveugles à distinguer certains objets avec lesquels ils peuvent interagir (article en lien ci-dessous). Les plateformes de streaming ont permis de normaliser le handicap au sein de la communauté de joueurs. Sur les forums et les réseaux sociaux, les commentaires agressifs ou insultants sont toutefois légion, souvent formulés par un public peu informé. « Je sais qu'il y aura toujours des ''trolls'' et des ''haters'' (internautes adeptes de la critique systématique voire du harcèlement) », confie Ewok. « Mais je ne les laisse pas me gâcher l'existence et je préfère choisir mes combats de manière avisée. »