« Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles. » L'un de nos fidèles lecteurs, Auguste Jaberri, nous a interpellé à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel prise le 13 février 2025. Il signe une tribune pertinente sur un enjeu capital à l'heure de la société inclusive : la citoyenneté des personnes en situation de handicap.
Le 11 février 2005, la France adoptait une loi fondamentale affirmant l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap. Une part importante de la société civile fêtait son vingtième anniversaire ce mardi. Vingt ans plus tard, l'ambition républicaine portée par ce texte fondateur est ramenée à une réalité juridique paradoxale...
Vie politique : encourager la participation des personnes handicapées
S'agissant de la citoyenneté, des questions essentielles se posent autour de la participation des personnes handicapées à la vie politique, du droit de vote et de leur représentation parmi les élus. De nombreux acteurs appellent, fort justement, les personnes concernées à s'emparer du débat et à s'engager dans les mandats pour porter directement leurs revendications et influer sur les politiques publiques : « Rien pour nous, sans nous » !
Un candidat sous curatelle évincé d'une élection législative
Hasard des calendriers, moins de 48 heures après ce rendez-vous important, le Conseil constitutionnel rappelait de manière abrupte une triste réalité. Il a en effet annulé une élection législative en raison de « l'inéligibilité » de Thierry Mosca, candidat dans la deuxième circonscription du Jura, placée sous curatelle renforcée, « en application de l'article LO129 du Code électoral ». Pour être plus précis, une candidate LR a vu son élection annulée, par ricochet de l'inégibilité du candidat RN, recours déposé par une autre candidate non élue, d'étiquette PCF.
Une « entrave à la citoyenneté » passée sous silence ?
Cette disposition entrave évidemment de manière importante l'accès d'une partie des personnes handicapées à toute forme de mandat, donc leur capacité à participer à la vie publique, à être pleinement citoyennes. Curieusement, cette décision n'a, pour le moment, fait l'objet que de peu de commentaires dans le milieu du handicap, et seulement sous des implications politiques pour les candidats concernés.
Une décision en contradiction avec la CIDPH
La décision n° 2024-6341 AN du 13 février 2025 interroge : une personne sous curatelle ou tutelle doit-elle, par principe, être écartée de l'exercice du mandat électif ? La question n'est pas nouvelle mais elle prend une résonance toute particulière dans le cade des vingt ans de la loi de 2005. Elle révèle une contradiction entre notre cadre légal national et nos engagements internationaux. La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), ratifiée par la France en 2010, stipule en effet en son article 29 que les États doivent « faire en sorte que les personnes handicapées puissent effectivement et pleinement participer à la vie politique et à la vie publique sur la base de l'égalité avec les autres, que ce soit directement ou par l'intermédiaire de représentants librement choisis, et notamment qu'elles aient le droit et la possibilité de voter et d'être élues ».
Des évolutions en faveur des majeurs protégés en 2019...
Dès 2019, la France avait ainsi, en cohérence avec la CIDPH, fait évoluer de nombreuses dispositions relatives à la capacité juridique des majeurs protégés, via la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Cette loi favorisait notamment l'exercice des droits matrimoniaux des majeurs protégés et restaurait leur droit de vote en abrogeant l'article L5 du code électoral (Tutelle, curatelle: plus de droits pour les majeurs protégés).
... sauf sur l'éligibilité, qui reste une « zone grise »
Pourtant, cette occasion n'avait pas permis de lever leur inéligibilité. Cette dernière entrant d'ailleurs dans une forme de zone grise car la création de l'habilitation familiale, qui peut se substituer à une tutelle ou curatelle, n'est pas visée à l'article LO129 du code électoral, dont la rédaction n'a pas été modifiée. Cette incohérence crée une rupture d'égalité, tout en interrogeant la capacité du droit français à s'adapter à l'évolution des sociétés modernes et inclusives.
Une remise en question du contrôle de conventionnalité des lois ?
Un autre point crucial concerne le contrôle de conventionnalité des lois. Si le Conseil constitutionnel s'abstient, dans une jurisprudence établie depuis plusieurs dizaines d'années, d'un tel examen dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité des lois déférées, doit-il en faire de même lorsqu'il joue le rôle de juge de l'élection, comme c'est le cas pour l'élection des députés ? Cette question mérite d'être posée, d'autant que l'incompatibilité entre le Code électoral et nos engagements internationaux semble manifeste. Ce faisant, il a raté une occasion de se poser comme garant des libertés et droits fondamentaux.
Appel à un débat transpartisan !
La France peut-elle toujours tolérer que des citoyens soient privés de la possibilité d'exercer un mandat électif en raison de leur situation de handicap ? Alors que la loi de 2005 ambitionnait de renforcer la citoyenneté des personnes handicapées, il est urgent d'ouvrir un débat transpartisan sur l'éligibilité des personnes sous protection juridique. La citoyenneté ne saurait être à géométrie variable. En cette date anniversaire, il est temps d'agir pour une pleine reconnaissance des droits politiques des personnes handicapées. Le débat est ouvert.
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